11/07/2015

Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle (septembre à décembre 2014)

Je suis heureuse d'être de retour ici après quelques mois d'arrêt lié à un petit accident ! Je compte bien rattraper mon retard :-) et je vous présente pour commencer ma chronique de printemps parue à la Gazette du Palais.

Voici donc quelques « coups de projecteur » sur la jurisprudence française et européenne en droit de la propriété intellectuelle, pour éclairer la période de quatre mois allant de septembre à décembre 2014. Jurisprudence surtout européenne d’ailleurs, signe des temps... Une décision venue d’ailleurs s’y ajoute : dans le décor des Google AdWords, la saga Interflora Inc. c/ Marks & Spencer déroule son intrigue à la cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles.
 

I. Propriété littéraire et artistique


Bob et Bobette au pays de la parodie (note sous CJUE, gr. ch., 3 sept. 2014, n° C-201/13, Johan D. et Vrijheidsfonds VZW c/ Helena V. et a. : demande de décision préjudicielle du hof van beroep te Brussel, Belgique, M. Skouris, prés.)
On peut se réjouir que la Cour de justice consacre la parodie comme « notion autonome » du droit de l’Union et en définisse largement les contours : la parodie évoque une œuvre existante (tout en présentant des différences perceptibles) et constitue une manifestation d’humour ou une raillerie. Mais la Cour ajoute que l’application de l’exception de parodie doit respecter un « juste équilibre » entre les intérêts des auteurs et la liberté d’expression… et cela pose question.

La couverture originale de Bob et Bobette
La parodie en cause
 

Numérisation par les bibliothèques : l’écran gagne une bataille sur le papier (note sous CJUE, 4e ch., 11 sept. 2014, n° C-117/13, Technische Universität Darmstadt c/ Eugen Ulmer KG, demande de décision préjudicielle du Bundesgerichtshof, Allemagne, M. Bay Larsen, prés.)
Dans l’arrêt Darmstadt, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la question de la numérisation des livres, via l’exception de mise à disposition accordée aux bibliothèques. Consacrant un « droit accessoire de numérisation », elle décide qu’un État membre peut accorder « aux bibliothèques accessibles au public (…) le droit de numériser les œuvres faisant partie de leurs collections, si cet acte de reproduction est nécessaire, aux fins de la mise à la disposition des usagers de ces œuvres, au moyen de terminaux spécialisés, dans les locaux de ces établissements ».
 

II. Brevets


Brevets biotechnologiques : l’exercice de définition de l’embryon humain se poursuit avec l’arrêt ISCO (note sous CJUE, gr. ch., 18 déc. 2014, n° C-364/13, International Stem Cell Corporation [ISCO] c/ Comptroller General of Patents, demande de décision préjudicielle de la High Court of Justice of England and Wales [EWHC], Chancery Division [Patents Court], Royaume-Uni, M. Skouris, prés.)
Dans l’arrêt ISCO rendu en grande chambre le 17 juillet 2014, la Cour de justice de l’Union européenne poursuit son exercice de définition de l’embryon humain au sens de la directive n° 98/44/CE, en se plaçant dans la lignée de l’arrêt Brüstle. Elle en reprend le critère décisif, à savoir la capacité à se développer pour devenir un être complet. Et elle conclut donc qu’un ovule humain non fécondé qui, par voie de parthénogenèse, a été induit à se diviser et à se développer ne constitue pas un « embryon humain » si, à la lumière des connaissances actuelles de la science, il ne dispose pas, en tant que tel, de la capacité intrinsèque de se développer en un être humain. Dès lors, la technologie à l’origine de l’affaire pourrait être brevetable.

Sur cette affaire, voir aussi Brevets biotechnologiques : l’affaire ISC permet de préciser la définition de l’embryon humain (commentaire des conclusions de l'avocat général)
 

III. Marques, dessins et modèles


Ballon d’or c/ Golden Balls : c’est de la balle pour les marques renommées ! (note sous CJUE, 8e ch., 20 nov. 2014, nos C-581/13 P et C-582/13 P, Intra-Presse SAS c/ OHMI et Golden Balls Ltd, « Ballon d’or c/ Golden Balls », pourvoi c/ Trib. UE, nos T-448/11 et T-437/11, Mme Toader, prés., M. Wathelet, av. gén.)
Avec cet arrêt Ballon d’or c/ Golden Balls, la Cour de justice de l’Union confirme sa jurisprudence Ferrero. Ainsi, sur le fondement de l’article 8, § 5 du RMC (marques renommées), il faut procéder à « l’appréciation globale » des marques afin de déterminer si, malgré le faible degré de similitude entre celles-ci, « il existe, en raison de la présence d’autres facteurs pertinents, tels que la notoriété ou la renommée de la marque antérieure, un risque de confusion ou un lien entre ces marques dans l’esprit du public concerné ».

IV. Internet (questions transversales)


The Pirate Bay : à l’abordage des sites pirates par le blocage (note sous TGI Paris, 3e ch., 1re sect., réf., 4 déc. 2014, n° 14/03246, Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) c/ Sté Orange et a., Mme Courboulay, prés.)
Par une décision bien motivée, le tribunal de grande instance de Paris ordonne aux principaux FAI français le blocage des sites illicites The Pirate Bay pour une durée de douze mois, aux frais de la SCPP et en leur laissant la liberté de prendre toutes mesures propres à empêcher leur accès à partir du territoire français. Le juge français s’inspire très raisonnablement des principes dégagés par le juge européen dans les arrêts SABAM c/ Netlog, Scarlet c/ SABAM et UPC Telekabel. Mais la question des coûts reste une pomme de discorde (conduisant la SCPP à interjeter appel).

Responsabilité des hébergeurs : Dailymotion est encore condamné (note sous CA Paris, P. 5, ch. 1, 2 déc. 2014, n° 13/08052, TF1 et a. c/ Dailymotion et a., confirmation partielle TGI Paris, 13 sept. 2012, n° 09/19255 et TGI Paris, 8 nov. 2012, n° 12/12996, M. Rajbaut, prés.)
La cour d’appel de Paris confirme en l’espèce le statut d’hébergeur de la plateforme Dailymotion. Celle-ci bénéficie donc de la responsabilité allégée des prestataires techniques de l’internet, mais elle est ici responsable de n’avoir pas retiré promptement de son site des vidéos contrefaisantes.

V. Dans le monde


Royaume-Uni : des AdWords et du suspense dans l’affaire Interflora (note sous Court of Appeal of England and Wales, cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles, civil division, 5 nov. 2014, n° EWCA Civ 1403, Interflora Inc. c/ Marks & Spencer plc, Lord Justice Kitchin, Lord Justice Patten et Sir Colin)
C’est la suite de l’affaire Interflora, qui concerne le service AdWords de Google. Après l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, la High Court of Justice of England and Wales avait conclu que Marks & Spencer, l’annonceur, était en l’espèce coupable de contrefaçon de la marque Interflora. Mais la Court of Appeal of England and Wales, après avoir identifié diverses erreurs de droit dans la décision de la High Court, admet l’appel et renvoie à nouveau l’affaire devant la High Court. Elle revient notamment sur la notion d’« internaute moyen ».

À lire en intégralité à la Gazette du Palais ! 
 
La tempête pour The Pirate Bay ? Pas si sûr !
 

Références : Laure Marino, "Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle", Gazette du Palais, 5 mars 2015, n° 64, p. 14.


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