Affichage des articles dont le libellé est numérisation. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est numérisation. Afficher tous les articles

12/10/2016

Des exceptions au droit d’auteur au secours des humanités numériques ?

J'ai prononcé ce texte le 6 décembre 2013 lors du colloque "Propriété littéraire et artistique et humanités numériques". Le caractère oral de la présentation a été conservé. 


Le proverbe dit que l’exception confirme la règle. Mais tous ceux qui aiment Sherlock Holmes le savent bien : l’exception infirme la règle. Par exemple, la reproduction ou la représentation intégrale d’une œuvre protégée par le droit d’auteur est illicite. C’est la règle. Mais certains actes contrefaisants sont pourtant légitimés. C’est l’exception qui infirme la règle. L’exception redessine ainsi les contours du droit d’auteur. Elle fait apparaître son vrai visage, plus doux, plus flou. Elle ouvre des espaces de liberté.

Ce qui est également élémentaire, mes chers Waston, c’est que pour faire de la recherche dans une démarche de digital humanities ou humanités numériques, il faut numériser un corpus massif. Des big data ! Bien sûr, les humanités numériques ne se limitent pas à la numérisation de corpus géant. Les outils numériques permettent aussi de traiter et d’analyser le corpus rendu accessible d’une façon nouvelle. Les projets de digital humanities utilisent ainsi les technologies numériques pour reproduire et traiter l’information. En bref, les digital humanities s’appuient sur les nouvelles technologies numériques pour faire de la recherche autrement.

Mais quelles que soient les recherches, et elles sont très variées, elles ont donc toutes un point commun : elles reposent toujours sur la numérisation d’un corpus imposant. Les projets de digital humanities utilisent des corpus d’écrits, mais aussi parfois d’images ou de sons. Par exemple, le programme Molière 21 a nécessité la numérisation de l’intégralité des œuvres du dramaturge. Le projet Venice Time Machine sur Venise débute par la numérisation d’archives très anciennes et immenses – plus de 100 millions.

Croisons maintenant les digital humanities et le droit d’auteur. Pour les deux projets cités, il n’y pas de problèmes : les œuvres numérisées sont libres de droits. Mais si, par exemple, notre projet portait sur les œuvres des romanciers français du XXe siècle, il faudrait numériser un corpus dont une grande partie est encore protégée par le droit d’auteur. Pour faire de la recherche, il faut souvent utiliser des contenus protégés par le droit d’auteur.

Alors, sachant que la reproduction intégrale d’œuvres protégées sans autorisation des ayants droit est par principe interdite, je voudrai plaider pour que de nouvelles exceptions permettent aux projets de digital humanities de numériser et traiter librement les corpus.

Je dirai tout d’abord pourquoi, et puis comment.

I. Pourquoi

Pourquoi ? Pourquoi plaider pour des exceptions alors qu’il en existe déjà ? Je commencerai par soupeser les arguments contre, avant de me prononcer pour.

A/ Arguments contre

Côté contre, on pourrait estimer que le droit est déjà bien suffisamment armé pour ouvrir des fenêtres de liberté lorsqu’il en faut. Le droit d’auteur n’est pas un droit totalitaire ; il connait des principes tempérés par des exceptions. Ah, le fameux article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle ! On y trouve pas moins de 13 exceptions, dont 10 sont fondées sur le droit à la liberté d’expression, qui inclut la liberté de création et de recherche. Il y a l’exception de courtes citations, l’exception d’analyses, l’exception de revues de presse, l’exception de diffusion des discours, l’exception d’illustration artistique à des fins d’information du public, l’exception de parodie, l’exception pédagogique, l’exception de conservation et de consultation… et bien d’autres encore.

Alors bien sûr, par principe, un acte de numérisation nécessite l’autorisation de l’auteur ou des ayants droit, car c’est une reproduction. Il en va de même pour un acte de transformation, car une œuvre dérivée d’une œuvre originaire transformée est une œuvre composite. Ce droit d’interdire accordé à l’auteur forme la base même du droit d’auteur. Sans lui, ce ne serait plus du droit d’auteur.

Mais, par exception, le public en général et les chercheurs en particulier disposent de multiples sphères de liberté. Les exceptions sont importantes, car elles équilibrent le droit des auteurs et les droits de la collectivité tout entière.

Or, parmi ces exceptions, il y en a justement trois qui pourraient bénéficier aux projets de digital humanities.

La première est l’exception de courtes citations, très utile. Elle permet par exemple à un auteur d’évoquer brièvement le travail d’un autre sous la forme de citations placées entre guillemets, en respectant le droit à la paternité : citer l’auteur, indiquer la source. On doit ici poursuivre un but didactique, c’est-à-dire polémique, scientifique, pédagogique, etc.

La deuxième exception est l’exception pédagogique, l’une des exceptions introduites par la loi DADVSI, inspirée par la directive Société de l’information et légèrement toilettée par la loi pour la refondation de l’école de la République. L’exception pédagogique autorise certaines reproductions ou représentations réalisées à des fins d’enseignement et de recherche‏.

La troisième exception est l’exception de conservation et de consultation. Également consacrée par la loi DADVSI, cette exception bénéficie aux bibliothèques, musées et services d’archives. Elle permet de préserver les supports d’origine qui se détériorent.

Ces trois exceptions contribuent à équilibrer le droit de l’auteur et le droit à la liberté d’expression et de création de tous, droit fondamental. C’est ainsi que le droit d’auteur est un droit équilibré, doté d’un « équilibre interne ».

Alors, certes, lorsque l’on regarde dans le détail, ces exceptions sont plutôt restrictives, car elles sont soumises à de rigoureuses exigences. Mais l’équilibre est à ce prix. Et les chercheurs ne s’en sont d’ailleurs jamais plaints. Ne perturbons donc pas ce fragile équilibre. Ne touchons à rien. Et rappelons-nous que nous ne pouvons pas créer de nouvelles exceptions en dehors de la liste limitative contenue dans la directive Société de l’information. Voilà, en substance, ce que l’on dirait pour rejeter toutes modifications. 

B/ Arguments pour

J’ai une perception différente, favorable à une douce évolution des exceptions.

Tout d’abord, soyons clairs : en pratique, aucune des trois exceptions ne pourra véritablement s’appliquer à un projet de digital humanities qui commence inéluctablement par une numérisation massive.

L’exception de courte citation ne pourra pas jouer, car court, c’est court ! Noir, c’est noir, il n’y a plus d’espoir ! Il faut évidemment rester court au regard du volume global de l’œuvre citée. Impossible, par exemple, de reproduire intégralement un ouvrage ! Et en plus, la jurisprudence française n’accepte pas les citations graphiques ou sonores. Nous sommes donc limités aux courtes citations textuelles.

L’exception pédagogique sera exclue pour une raison voisine : elle ne concerne que des « extraits d’œuvres ». Des extraits peuvent être plus longs qu’une citation, mais sans constituer l’œuvre dans son intégralité. Et puis il y a bien d’autres conditions à respecter avec cette exception, mais je n’ose pas lire le texte tant il est long !

L’exception de conservation et de consultation sera écartée. Elle est réservée aux bibliothèques, musées et services d’archives, et à des conditions draconiennes. Mais quoi qu’il en soit, un laboratoire de recherche, par exemple, ne peut pas en bénéficier.

Et même en cherchant bien, toutes les autres exceptions qui ne sont pas restrictives en qui concerne le volume et permettent une reproduction intégrale ne sont pas adaptées ici : exception de copie privée, exception de parodie, exception pour les discours d’actualité… Ces exceptions ont un objet fort précis.

Autant dire, donc, que Molière était un excellent choix ! Évitons Hergé, Uderzo, Goscinny et Houellebecq !

Pourrait-on, alors, estimer qu’il n’y a pas vraiment reproduction lorsqu’on numérise sans communiquer l’œuvre numérisée à un large public ? Que dire si l’œuvre numérisée n’est communiquée qu’aux chercheurs des disciplines concernées ? C’est encore illicite, car une reproduction est une reproduction. C’est comme un chat est un chat. Il faut désormais avoir une interprétation large de la reproduction. La reproduction est assimilée à une simple « fixation » ; elle est détachée de sa finalité de communication de l’œuvre, comme l’a dit le juge européen.

Nous voilà donc dans l’impasse. Le droit d’auteur entrave les digital humanities. Ce n’est guère étonnant : le système actuel traduit des choix de politique juridique qui n’ont pas tenu compte de ces questions, car celles-ci ne se posaient pas à l’époque où les choix ont été faits. C’est pourquoi il me semble qu’il serait utile de débattre de nouveaux choix de politique juridique à l’aune des nouveaux enjeux du numérique. C’est pourquoi il serait utile de faire évoluer le droit d’auteur. Mais comment ?

II. Comment

Comment ? Une fois admise l’idée même d’une exception favorable aux digital humanities, plusieurs routes sont possibles. Il y a un chemin large et une voie plus étroite.

A/ Approche fair use à l’américaine

Le chemin large, c’est celui qui est emprunté par le copyright américain, avec l’exception de fair use. Le système américain est fondé sur cette importante exception d’usage équitable laissée à l’appréciation du juge. C’est une approche très différente de la nôtre, avec un champ d’exceptions ouvert et un grand pouvoir prétorien. Le terrain n’est pas clos par une liste légale et fermée d’exceptions comme en France et en Europe.

Ainsi, aux États-Unis, l’exception de recherche est appliquée dans le cadre du fair use et elle permet aux chercheurs de reproduire à leur convenance les travaux de leurs pairs dans le cadre de leur recherche.

Le fair use légitime également certaines formes de création dérivée, parfois de façon assez extrême. Par exemple, le fair use a été récemment invoqué, dans l’affaire Richard Prince, pour un usage transformatif. Richard Prince est un artiste contemporain connu pour sa façon d’utiliser et transformer les œuvres d’autres artistes. Il a notamment utilisé des photographies représentant des rastafaris, sans autorisation du photographe et sans indication de la source, pour réaliser une série de peintures et de collage. Le juge a fait droit à l’artiste : fair use. Plus largement, le fair use pourrait donc jouer pour certains nouveaux usages numériques : remix, sampling, mashup (on parle aussi des UGC pour user generated contents ou « contenu généré par les utilisateurs »).

On en déduit aussi que le fair use pourrait bénéficier aux numérisations de certains projets de digital humanities. La décision rendue par le juge Denny Chin dans l’affaire Google Books va dans ce sens. 

Quelques mots sur cette saga judiciaire.

Cela fait maintenant neuf ans que Google numérise des ouvrages pour Google Books, sa bibliothèque numérique géante, sans demander d’autorisations aux ayants droit. À ce jour, Google a déjà numérisé plus de vingt millions d’ouvrages, provenant de plus de 100 pays et en 400 langues. Ce projet a tout de suite provoqué des résistances.

Aux États-Unis, dès 2005, l’Authors Guild et diverses autres associations d’auteurs et d’éditeurs littéraires ont annoncé vouloir intenter une class action en contrefaçon. D’un côté, les plaignantes contestaient la numérisation des livres et la mise en ligne de courts extraits (snippets). De l’autre, Google invoquait l’exception de fair use. Puis, comme il est fréquent outre-Atlantique, des négociations ont rapidement démarré en vue d’un accord transactionnel. Toutefois, en 2011, le juge Denny Chin de la Cour fédérale du Southern District of New York a refusé d’homologuer l’accord.

Depuis lors, et après quelques péripéties, le procès a redémarré. Le juge Chin a, notamment, accepté l’intervention d’un amicus curiae Digital Humanities and Law Scholars. Ce groupe d’universitaires a pu ainsi déposer un mémoire au soutien de Google. Et il semble que le juge ait été impressionné, entre autres, par ses arguments. Car il vient de faire droit à Google, il y a moins d’un mois : tout cela relève du fair use. Plus précisément, il s’agit d’un usage transformatif. Je cite un bref extrait de la décision, avec ma traduction : « Google Books est transformatif dans le sens où il a transformé le texte des livres en données à des fins de recherche ; il étend ainsi le data mining et le text mining à de nouveaux domaines (data mining et text mining sont difficile à traduire : on pourrait dire “exploration” ou “fouille” de données et de texte). Google Books a dès lors ouvert de nouveaux champs à la recherche ». Le juge poursuit : « Les mots des livres sont alors utilisés comme ils ne l’avaient jamais été auparavant. Google Books a créé quelque chose de nouveau dans la manière d’utiliser le texte des livres, car la fréquence des mots et leurs modes d’utilisation fournissent des informations substantielles ». Fin de citation. Voilà le fair use au secours des digital humanities ! Mais, de ce côté-ci de l’Atlantique, c’est une tout autre histoire.

B/ Approche plus précise à l’européenne


En France et en Europe, la route est plus étroite. Seule une approche pointilliste est possible, exception par exception, et il n’y a pas de fair use. Ce qui nous laisse tout de même trois voies possibles d’évolution.

La première est jurisprudentielle, et elle est de ce fait un peu aléatoire : on pourrait militer pour un assouplissement de la jurisprudence. Les juges, y compris les juges français, ont tout de même une latitude dans l’interprétation des textes, y compris de l’article L. 122-5. En toute logique, ils devraient interpréter les exceptions à la lumière du droit fondamental qui les justifie. Par exemple, ils interprèteraient l’exception de courtes citations à la lumière de la liberté d’expression. Ainsi, le juge français pourrait accepter les citations graphiques et sonores dans le giron de l’exception de courte citation, de même que le mashup. Il pourrait aussi, dans certains cas exceptionnels, apporter des limites au droit d’auteur en dehors de la liste des exceptions légales, en introduisant la liberté d’expression dans la cause. Aux Pays-Bas, une décision révolutionnaire a été rendue en ce sens. La Cour d’appel de La Haye a en effet jugé, en 2003, que la reproduction intégrale d’un ouvrage de l’église de Scientologie était bien une contrefaçon (c’était difficile de dire le contraire), mais qu’en l’espèce le droit d’auteur devait céder face à la liberté d’expression ; le texte avait en effet été reproduit à des fins d’études critiques. Indirectement, ce type de décision rejoint le concept de fair use. La jurisprudence permet ainsi une adaptation, au cas par cas et à droit constant.

La deuxième solution est contractuelle, et par là même également aléatoire : on pourrait encourager les auteurs et ayants droit à recourir à des licences à titre gratuit, de type Creative commons. En ce sens, le programme européen « Des licences pour l’Europe » souhaite promouvoir la voie contractuelle, mais il n’évoque toutefois pas la gratuité.

La troisième solution est législative, et c’est la meilleure, car la plus stable : en France, on pourrait élargir l’exception pédagogique et surtout introduire une véritable exception de recherche, comme cela existe chez nos voisins anglais, allemands, belges. Ce n’est pas une idée folle. L’exception de recherche est admise en droit de l’Union européenne ; c’est une exception facultative, ce qui signifie que les États membres de l’Union européenne sont libres de la prévoir ou pas. L’exception de recherche est également permise au niveau international, dans la Convention de Berne, mais aussi dans les préambules des deux traités OMPI de 1996 au nom de l’« équilibre entre les droits des auteurs [...] et l’intérêt public général, notamment en matière d’enseignement, de recherche et d’accès à l’information ». La France pourrait donc franchir le pas, sous condition, bien sûr, de l’absence d’usage marchand et du respect de la paternité : mentionner le nom de l’auteur de l’œuvre et de la source.

Pour aller plus loin, dans le cadre de l’Union, on pourrait aussi réformer la directive au secours des humanités numériques. Le Canada, par exemple, a introduit une exception au profit des contenus générés par l’utilisateur dans le courant de l’été 2012. Plus près de nous, l’Irlande réfléchit également à une exception en ce sens. Au contraire, en France, le rapport Lescure propose de modifier notre rédaction actuelle de l’exception de courte citation afin de l’adapter à la création transformative. Mais le rattachement des usages transformatifs à la courte citation me laisse perplexe, ne serait que parce que les usages transformatifs s’appuient parfois sur une reproduction intégrale. Cela ressemblerait à une solution artificielle, dans le but de contourner le législateur européen. Mieux vaudrait modifier la directive pour introduire une nouvelle exception.

Il importe en effet de raisonner différemment avec le numérique et notamment avec les humanités numériques, en raison de la spécificité du numérique. La numérisation n’est pas un acte de reproduction comme les autres, car elle permet ensuite un usage de l’œuvre tout à fait nouveau. Il faut alors nécessairement introduire la finalité dans le raisonnement, par exemple la finalité de recherche.

Sherlock Holmes disait que lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité. Si j’élimine l’assimilation pure et simple de la numérisation à la reproduction classique, il reste la nécessité de repenser l’acte de numérisation dans toute sa spécificité.



À lire en intégralité dans l'ouvrage "Propriété littéraire et artistique et humanités numériques", paru aux éditions Mare & Martin en novembre 2015 !

Référence : Laure MARINO, Des exceptions au droit d’auteur au secours des humanités numériques ?, in Propriété littéraire et artistique et humanités numériques, dir. A. Bensamoun et A. Latil, Mare & Martin, coll. des Presses universitaires de Sceaux, 2015, p. 61.


Soyez notifié de la publication de nouveaux articles par mail !
Entrez votre adresse mail :

23/07/2015

Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle (janvier à avril 2015)

Voici quelques « coups de projecteur » sur la jurisprudence française et européenne en la matière, pour éclairer la période de quatre mois allant de janvier à avril 2015. Jurisprudence surtout européenne au demeurant, signe des temps... Une décision venue d’ailleurs s’y ajoute : la High Court of England and Wales s’intéresse au site pirate PopCorn Time et ordonne son blocage avec une riche motivation.
 

I. Propriété littéraire et artistique

 
Arrêt Christie’s France : la CJUE donne suite au transfert contractuel du droit de suite ! (note sous CJUE, 4e ch., 26 févr.2015, n° C-41/14, Christie’s France SNC c/ Syndicat national des antiquaires, demande de décision préjudicielle de la Cour de cassation, France, M. Bay Larsen, prés.)
Selon la Cour de justice de l’Union européenne, l’article 1er, paragraphe 4,de la directive n° 2001/84/CE du 27 septembre 2001 sur le droit de suite ne s’oppose pas au transfert contractuel de la charge du paiement du droit de suite sur l’acheteur. Les juges européens volent ainsi au secours de la liberté contractuelle, en se montrant favorables à la contractualisation.
✐ Breaking news ! Sans surprise et par suite, la première chambre civile de la Cour de cassation vient d’en tirer les leçons (Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 13-12675). Elle a cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Versailles.

II. Brevets 


Salade de tomate et brocoli : un produit obtenu par un procédé essentiellement biologique est brevetable (note sous OEB, gde ch. de recours, 25 mars 2015, n° G 0002/13 [Tomate II], Syngenta ParticipationsAG et a. c/ Plant Bioscience Limited, et n° G 0002/12 [Brocoli II] État d’Israël et a. c/ Unilever, M. van der Eijk, prés, décisions en anglais)
Il y a cinq ans, dans les décisions Tomate I et Brocoli I, la grande chambre de recours de l’Office européen des brevets avait jugé que deux procédés d’obtention d’une tomate et d’un brocoli ne sont pas brevetables, car « essentiellement biologiques ». Dans les décisions Tomate II et Brocoli II, elle précise aujourd’hui que les produits issus de tels procédés sont brevetables.
 

III. Marques, dessins et modèles


La marque Vente-privee.com est validée en appel (note sous CA Paris, P. 5, 1re ch., 31 mars 2015, n° 13/23127,SAS Vente-privee.com c/ SARL Showroomprive.com, M. Rajbaut, prés.)
À la demande de la société Showroomprive.com, le tribunal de grande instance de Paris avait annulé l’enregistrement de la marque verbale française Vente-privee.com pour défaut de distinctivité. La cour d’appel infirme, en jugeant que cette marque a acquis un caractère distinctif par l’usage. En revanche, elle confirme que la marque était bien dépourvue de caractère distinctif au moment de son dépôt « compte tenu de son caractère usuel et descriptif ». Mais en motivant ainsi, le juge français ignore la conception européenne de la distinctivité qui s’impose aujourd’hui dans notre ordre juridique national.
✐ La société Showroomprivé a annoncé qu’elle allait se pourvoir en cassation.
 

IV. Internet (questions transversales)

 
Arrêt Hejduk : le critère de l’accessibilité du site détermine le juge compétent au cas de cyber-atteinte au droit d’auteur (note sous CJUE, 4e ch., 22 janv. 2015, n° C-441/13, Pez Hejduk c/ EnergieAgentur.NRW GmbH, demande de décision préjudicielle du Handelsgericht Wien, Autriche, M. Bay Larsen, prés.)
Dans cet important arrêt Hejduk du 22 janvier 2015, la Cour de justice de l’Union européenne renforce l’édifice bâti par l’arrêt Pinckney en 2013. En effet, les juges européens retiennent à nouveau le critère de l’accessibilité du site en cas de cyber-atteinte au droit d’auteur. Dès lors, la juridiction d’un État membre de l’Union européenne est compétente pour connaître d’une action en réparation d’une atteinte portée aux droits patrimoniaux d’un auteur dès lors que cette atteinte se réalise par la mise en ligne des œuvres sur un site internet accessible dans le ressort de cette juridiction. Cette juridiction statue toutefois dans la limite du seul dommage causé sur le territoire de cet État membre. Ainsi, tandis que l’arrêt Pinckney ciblait sa réponse sur l’hypothèse de la vente de supports matériels, l’arrêt Hejduk transpose le raisonnement aux cas de mise en ligne de fichiers numériques.
Injonction de blocage pour le site pirate T411 : t411.me est mort, vive t411.io ! (note sous TGI TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 2 avr. 2015, n° 14/08177, Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) c/ Sté Orange et a., Mme Courboulay, prés.)
Le 2 avril 2015, par une décision soignée, le tribunal de grande instance de Paris ordonne aux principaux fournisseurs d’accès à internet français le blocage du site illicite T411 pour une durée de douze mois, aux frais de la SCPP et en leur laissant la liberté de prendre toutes mesures propres à empêcher leur accès à partir du territoire français. C’est la même solution, la même motivation… et cela conduit sans doute à la même inefficacité que dans les précédentes affaires Allostreaming et The Pirate Bay.
✐ Nous ignorons si la SCPP a interjeté appel.
 

V. Dans le monde

 
Royaume-Uni : clap de fin pour le site pirate PopCorn Time ? Pas sûr ! (note sous High Court of Justice, England and Wales [Haute Cour de justice d’Angleterre et du pays de Galles], 28 avr. 2015, n° [2015] EWHC 1082 (Ch), 20th Century Fox and Others c/ Sky UK and Others, M. Justice Birss, décision en anglais)
Le 28 avril 2015, la High Court of Justice of England and Wales a ordonné aux cinq principaux fournisseurs d’accès à internet anglais de bloquer les cinq sites PopCorn Time. La décision anglaise est riche et passionnante, mais il n’est pas sûr que la sanction soit efficace.
✐ Nous ne savons pas si un appel a été interjeté.
 
À lire en intégralité à la Gazette du Palais ! 
 
La salade Tomate II et Brocoli II ne met pas tout le monde en appétit !
(source : ladb.ch => Coalition « Pas de brevet sur les semences » à Munich, le 27 octobre 2014)


 
Références : Laure Marino, "Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle", Gazette du Palais, 16 juillet 2015, n° 197, p. 16 et s.


Entrez votre adresse mail pour nous suivre par email :

11/07/2015

Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle (septembre à décembre 2014)

Je suis heureuse d'être de retour ici après quelques mois d'arrêt lié à un petit accident ! Je compte bien rattraper mon retard :-) et je vous présente pour commencer ma chronique de printemps parue à la Gazette du Palais.

Voici donc quelques « coups de projecteur » sur la jurisprudence française et européenne en droit de la propriété intellectuelle, pour éclairer la période de quatre mois allant de septembre à décembre 2014. Jurisprudence surtout européenne d’ailleurs, signe des temps... Une décision venue d’ailleurs s’y ajoute : dans le décor des Google AdWords, la saga Interflora Inc. c/ Marks & Spencer déroule son intrigue à la cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles.
 

I. Propriété littéraire et artistique


Bob et Bobette au pays de la parodie (note sous CJUE, gr. ch., 3 sept. 2014, n° C-201/13, Johan D. et Vrijheidsfonds VZW c/ Helena V. et a. : demande de décision préjudicielle du hof van beroep te Brussel, Belgique, M. Skouris, prés.)
On peut se réjouir que la Cour de justice consacre la parodie comme « notion autonome » du droit de l’Union et en définisse largement les contours : la parodie évoque une œuvre existante (tout en présentant des différences perceptibles) et constitue une manifestation d’humour ou une raillerie. Mais la Cour ajoute que l’application de l’exception de parodie doit respecter un « juste équilibre » entre les intérêts des auteurs et la liberté d’expression… et cela pose question.

La couverture originale de Bob et Bobette
La parodie en cause
 

Numérisation par les bibliothèques : l’écran gagne une bataille sur le papier (note sous CJUE, 4e ch., 11 sept. 2014, n° C-117/13, Technische Universität Darmstadt c/ Eugen Ulmer KG, demande de décision préjudicielle du Bundesgerichtshof, Allemagne, M. Bay Larsen, prés.)
Dans l’arrêt Darmstadt, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la question de la numérisation des livres, via l’exception de mise à disposition accordée aux bibliothèques. Consacrant un « droit accessoire de numérisation », elle décide qu’un État membre peut accorder « aux bibliothèques accessibles au public (…) le droit de numériser les œuvres faisant partie de leurs collections, si cet acte de reproduction est nécessaire, aux fins de la mise à la disposition des usagers de ces œuvres, au moyen de terminaux spécialisés, dans les locaux de ces établissements ».
 

II. Brevets


Brevets biotechnologiques : l’exercice de définition de l’embryon humain se poursuit avec l’arrêt ISCO (note sous CJUE, gr. ch., 18 déc. 2014, n° C-364/13, International Stem Cell Corporation [ISCO] c/ Comptroller General of Patents, demande de décision préjudicielle de la High Court of Justice of England and Wales [EWHC], Chancery Division [Patents Court], Royaume-Uni, M. Skouris, prés.)
Dans l’arrêt ISCO rendu en grande chambre le 17 juillet 2014, la Cour de justice de l’Union européenne poursuit son exercice de définition de l’embryon humain au sens de la directive n° 98/44/CE, en se plaçant dans la lignée de l’arrêt Brüstle. Elle en reprend le critère décisif, à savoir la capacité à se développer pour devenir un être complet. Et elle conclut donc qu’un ovule humain non fécondé qui, par voie de parthénogenèse, a été induit à se diviser et à se développer ne constitue pas un « embryon humain » si, à la lumière des connaissances actuelles de la science, il ne dispose pas, en tant que tel, de la capacité intrinsèque de se développer en un être humain. Dès lors, la technologie à l’origine de l’affaire pourrait être brevetable.

Sur cette affaire, voir aussi Brevets biotechnologiques : l’affaire ISC permet de préciser la définition de l’embryon humain (commentaire des conclusions de l'avocat général)
 

III. Marques, dessins et modèles


Ballon d’or c/ Golden Balls : c’est de la balle pour les marques renommées ! (note sous CJUE, 8e ch., 20 nov. 2014, nos C-581/13 P et C-582/13 P, Intra-Presse SAS c/ OHMI et Golden Balls Ltd, « Ballon d’or c/ Golden Balls », pourvoi c/ Trib. UE, nos T-448/11 et T-437/11, Mme Toader, prés., M. Wathelet, av. gén.)
Avec cet arrêt Ballon d’or c/ Golden Balls, la Cour de justice de l’Union confirme sa jurisprudence Ferrero. Ainsi, sur le fondement de l’article 8, § 5 du RMC (marques renommées), il faut procéder à « l’appréciation globale » des marques afin de déterminer si, malgré le faible degré de similitude entre celles-ci, « il existe, en raison de la présence d’autres facteurs pertinents, tels que la notoriété ou la renommée de la marque antérieure, un risque de confusion ou un lien entre ces marques dans l’esprit du public concerné ».

IV. Internet (questions transversales)


The Pirate Bay : à l’abordage des sites pirates par le blocage (note sous TGI Paris, 3e ch., 1re sect., réf., 4 déc. 2014, n° 14/03246, Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) c/ Sté Orange et a., Mme Courboulay, prés.)
Par une décision bien motivée, le tribunal de grande instance de Paris ordonne aux principaux FAI français le blocage des sites illicites The Pirate Bay pour une durée de douze mois, aux frais de la SCPP et en leur laissant la liberté de prendre toutes mesures propres à empêcher leur accès à partir du territoire français. Le juge français s’inspire très raisonnablement des principes dégagés par le juge européen dans les arrêts SABAM c/ Netlog, Scarlet c/ SABAM et UPC Telekabel. Mais la question des coûts reste une pomme de discorde (conduisant la SCPP à interjeter appel).

Responsabilité des hébergeurs : Dailymotion est encore condamné (note sous CA Paris, P. 5, ch. 1, 2 déc. 2014, n° 13/08052, TF1 et a. c/ Dailymotion et a., confirmation partielle TGI Paris, 13 sept. 2012, n° 09/19255 et TGI Paris, 8 nov. 2012, n° 12/12996, M. Rajbaut, prés.)
La cour d’appel de Paris confirme en l’espèce le statut d’hébergeur de la plateforme Dailymotion. Celle-ci bénéficie donc de la responsabilité allégée des prestataires techniques de l’internet, mais elle est ici responsable de n’avoir pas retiré promptement de son site des vidéos contrefaisantes.

V. Dans le monde


Royaume-Uni : des AdWords et du suspense dans l’affaire Interflora (note sous Court of Appeal of England and Wales, cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles, civil division, 5 nov. 2014, n° EWCA Civ 1403, Interflora Inc. c/ Marks & Spencer plc, Lord Justice Kitchin, Lord Justice Patten et Sir Colin)
C’est la suite de l’affaire Interflora, qui concerne le service AdWords de Google. Après l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, la High Court of Justice of England and Wales avait conclu que Marks & Spencer, l’annonceur, était en l’espèce coupable de contrefaçon de la marque Interflora. Mais la Court of Appeal of England and Wales, après avoir identifié diverses erreurs de droit dans la décision de la High Court, admet l’appel et renvoie à nouveau l’affaire devant la High Court. Elle revient notamment sur la notion d’« internaute moyen ».

À lire en intégralité à la Gazette du Palais ! 
 
La tempête pour The Pirate Bay ? Pas si sûr !
 

Références : Laure Marino, "Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle", Gazette du Palais, 5 mars 2015, n° 64, p. 14.


Entrez votre adresse mail pour nous suivre par email :