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04/07/2016

Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle (janvier à avril 2016)

Droit d’auteur, brevets et marques. Voici quelques « coups de projecteur » sur la jurisprudence française et européenne en droit de la propriété intellectuelle, pour éclairer la période de quatre mois allant de janvier à avril 2016. Allostreaming, Playtv.fr, GS Media : les décisions qui m’ont paru importantes en droit d’auteur et droits voisins portent toutes sur des questions nouvelles liées à internet. Signe des temps… Et même celle qui a été jugée « ailleurs » présente cette caractéristique : aux États-Unis, la spectaculaire affaire Google Books vient de connaître son dénouement avec une victoire pour la bibliothèque numérique géante de Google.


I. DROITS D’AUTEUR ET DROITS VOISINS

Allostreaming : les coûts du blocage et du déréférencement de sites pirates mis à la charge des FAI et des moteurs de recherche !

CA Paris, 5-1, 15 mars 2016, n° 14/01359, Association des producteurs de cinéma (APC), Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF), Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN) et a. c/ SA Orange et a., M. Rajbaut, prés.

Voici un arrêt attendu et remarqué ! Le 15 mars 2016, la cour d’appel de Paris s’est enfin prononcée sur l’importante affaire Allostreaming. La question du blocage et du déréférencement de seize sites pirates de streaming appartenant à la galaxie Allostreaming se trouvait au cœur du différend (ces sites permettent aux internautes de visionner des films et séries, diffusés en flux). Et la question des coûts du blocage et du déréférencement de ces sites se trouvait au cœur de l’appel. La cour décide de les mettre à la charge des fournisseurs d’accès à internet (FAI) et des moteurs de recherche. Elle infirme ainsi la décision des premiers juges sur ce point névralgique (TGI Paris, ord. réf., 28 nov. 2013, n° 11/60013, Association des producteurs de cinéma [APC], Fédération nationale des distributeurs de films [FNDF], Syndicat de l’édition vidéo numérique [SEVN] et a. c/ Auchan Telecom et a. : Gaz. Pal. 6 mars 2014, p. 22, note L. Marino L. ; RLDI janv. 2014/100, n° 3307, note W. Duhen).


Arrêt PlayTV : un cocktail de questions passionnantes mêlant le must carry, la contrefaçon par fourniture de liens hypertextes et l’interprétation du droit européen !

CA Paris, 5-1, 2 févr. 2016, n° 14/20444, Playmédia c/ France Télévisions, M. Rajbaut, prés. ; Mes Bernheim, Grappotte-Benetreau et Kamina, av.

Au stade de l’appel, l’affaire Playtv.fr forme un véritable cocktail de questions passionnantes : contrefaçon par diffusion en streaming, application du régime du must carry, contrefaçon par fourniture de liens hypertextes, interprétation du droit européen ! Et c’est un cocktail d’autant plus précieux que les droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle en constituent la base (or la jurisprudence est rare en ce domaine). Dans cet intéressant arrêt rendu le 2 février 2016, la cour d’appel de Paris considère, notamment, que les décisions Svensson  (lire ma note ici) et Bestwater International rendues par la Cour de justice de l’Union européenne ne concernent que le droit d’auteur, et non les droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle ici en cause. Par conséquent, les liens profonds contenus dans playtv.fr sont jugés contrefaisants.


GS Media : l’avocat général Wathelet défend les liens hypertextes !

CJUE, concl. av. gén. M. Wathelet, 7 avr. 2016, n° C-160/15, GS Media BV c/ Sanoma Media Netherlands BV et a. (demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden [Cour suprême des Pays-Bas])

GS Media : c’est THE nouvelle affaire sur les liens hypertextes à l’épreuve du droit d’auteur ! Placer sur son site un lien hypertexte qui renvoie vers un site tiers qui a publié des photos sans autorisation ? Ce n’est pas une contrefaçon, a répondu l’avocat général Melchior Wathelet dans ses conclusions parues le 7 avril 2016. Si la Cour de justice de l’Union européenne le suit, l’arrêt sera honni par les ayants droit… et s’il ne le suit pas, les internautes vont hurler ! Une chose est sûre : la décision de la CJUE ne passera pas inaperçue.

II. BREVETS


Compétence du tribunal de grande instance ou du tribunal de commerce ? La ligne de partage est désormais claire en droit des brevets !

Cass. com., 16 févr. 2016, n° 14-25340, Sté de Trevillers et a. c/ Sté Abzac packaging et a., FS-PB (rejet pourvoi CA Bordeaux, 18 juin 2014), Mme Mouillard, prés. ; SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Waquet, Farge et Hazan, av.

Cass. com., 16 févr. 2016, n° 14-24295, FS-PB, Sté Enez Sun et a. c/ Sté Europe et communication, FS-PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 3 juill. 2014), Mme Mouillard, prés. ; Me Bertrand, SCP Waquet, Farge et Hazan, av.

Tribunal de grande instance ou tribunal de commerce ? En droit des brevets, la ligne de partage ne se dessinait pas toujours très nettement. Dans un arrêt Chlorotech rendu le 7 juin 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait apporté une réponse claire, mais certains juges du fond n’avaient pas suivi. Dans deux importants arrêts jumeaux rendus le 16 février 2016, la même chambre commerciale enfonce le clou. Elle pose une solution simple fondée sur la demande principale au fond. Si, dans leurs demandes, les demandeurs invoquent des droits de brevet, seul le tribunal de grande instance est compétent. S’ils n’en invoquent pas, il faut saisir le tribunal de commerce. On peut espérer que ce raisonnement s’imposera à l’avenir. Et qu’il sera étendu à tous les droits de propriété intellectuelle.
III. MARQUES


Non, « les sans dents » ne sera pas une marque !

CA Paris, P. 5, ch. 2, 26 févr. 2016, n° 14/20 555, Mme C., déclarante au recours, en présence du directeur de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), Mme Perrin, prés.

L’INPI a rejeté la demande d’enregistrement de la marque verbale « les sans dents » : ce signe « apparaît contraire à l’ordre public en ce qu’il fait référence à des propos polémiques prêtés à Monsieur François Hollande, président de la République française et porte ainsi atteinte à la fonction de chef de l’État (...) ». Le 26 février 2016, la cour d’appel de Paris a confirmé, en relevant que ce signe sera perçu « comme une incitation à contrevenir à des principes essentiels au bon fonctionnement de la société ou comme une offense pour une partie du public concerné ». Elle balaie les arguments de la demanderesse, notamment celui (intéressant) qui était fondé sur la liberté d’expression.


●  Le paquet neutre fait un tabac au Conseil constitutionnel

Cons. const., 21 janv. 2016, n° 2015-727, loi de modernisation de notre système de santé : JO 27 janv. 2016

Le nouvel article L. 3511-6-1 du Code de la santé publique fait débat en droit de la propriété intellectuelle, et spécialement en droit des marques. Il impose en effet que les paquets de cigarettes fabriqués à compter du 20 mai soient « neutres et uniformisés ». Le 21 janvier 2016, le Conseil constitutionnel a toutefois jugé que cette disposition est bien conforme à la Constitution. Pour les Sages, l’instauration du paquet neutre n’institue pas une privation du droit de propriété sur la marque. Et il n’en résulte pas non plus une atteinte injustifiée et manifestement disproportionnée. Soit, mais l’analyse est globale ! Une réflexion plus fine aurait conduit à distinguer les divers types de marques : la marque verbale demeure, certes, mais les marques figuratives ou semi-figuratives sont complètement bannies.

Paquet neutre



IV. DANS LE MONDE


Google Books : fin de la saga judiciaire et triomphe du fair use

Supreme Court of the United States, 18 avr. 2016, The Authors Guild et a. c/ Google (Order list n° 15-849)

Outre-Atlantique, la spectaculaire affaire Google Books vient de connaître son dénouement avec une victoire pour la bibliothèque numérique géante de Google. Le 18 avril 2016, la Cour suprême des États-Unis a en effet rejeté le recours de l’Authors Guild. Cela signifie qu’elle a refusé de statuer (la Cour suprême « choisit » ses affaires). Par conséquent, la décision de la Court of Appeals for the Second Circuit rendue en octobre 2015 (lire ma note ici) est confirmée et devient définitive, faisant droit à Google : tout cela relève du fair use.


À lire en intégralité à la Gazette du Palais ! 



Références : Laure Marino, "Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle", Gazette du Palais, 28 juin 2016, n° 24, p. 25 et s.



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03/04/2014

Arrêt Svensson : les hyperliens en liberté (conditionnelle)


L’arrêt Svensson sur la création de liens hypertextes est arrivé ! Très attendue, cette décision européenne est une victoire pour les curateurs et les agrégateurs de contenu.

Ouf ! Internet est sauvé. On peut librement créer des liens hypertextes pointant vers des œuvres protégées par le droit d’auteur publiées sur d’autres sites. La Cour de justice de l’Union européenne vient de rendre un arrêt historique en ce sens[1]. URLons de joie !

Des articles de presse rédigés par des journalistes suédois avaient été publiés en libre accès sur le site du quotidien Göteborgs-Posten. Retriever Sverige, une société suédoise, exploite un site qui fonctionne comme un agrégateur ; elle fournit des liens cliquables à ses clients, notamment vers le site du journal. Ce qui a provoqué l’ire des journalistes à qui l’agrégateur n’avait pas demandé l’autorisation… 

Saisie par une juridiction suédoise, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) décide que « la fourniture sur un site internet de liens cliquables vers des œuvres librement disponibles sur un autre site internet […] ne constitue pas un acte de communication au public ». Autrement dit, le droit de représentation n’est pas violé. La Cour interprète ainsi l’article 3 de la directive Société de l’information dans un arrêt plutôt bref et rendu sans conclusions préalables d’un avocat général. C’était donc si simple ? La Cour précise aussi que les États ne peuvent protéger plus amplement les titulaires de droit en élargissant la notion de communication au public. 

Pourtant, à lire l’arrêt, on s’aperçoit que le raisonnement de la Cour est fort subtil et que sa portée est loin d’être facile à tracer. En effet, par principe, la création de liens est ici considérée comme un acte de communication au public. Si elle est libre, c’est parce qu’il n’y a pas, dans ce cas, communication à un « public nouveau ». Le public nouveau constitue donc la soupape de sécurité. Et ce public nouveau, c’est celui qui n’a pas été initialement pris en compte par les auteurs des œuvres. Mais sur Internet, lorsqu’on poste une œuvre en accès libre, on s’adresse à la communauté des internautes. C’est donc toujours le même public… Il n’est pas nouveau. La Cour ajoute qu’il en irait ainsi même si l’œuvre apparaissait en donnant l’impression qu’elle est montrée depuis le site où se trouve le lien (lien qui pointe un frame). En revanche, il y aurait public nouveau, nous dit-elle, si le lien permettait de « contourner des mesures de restriction ». On pense immédiatement aux paywalls, mais il y a d’autres hypothèses.

Il aurait été plus simple de poser, par principe, que la création d’un lien n’est pas une communication au public. Quelques juridictions l’ont fait, par exemple en France[2]… Mais la Cour européenne ne pouvait aller dans ce sens, car elle avait déjà jugé que la notion de communication au public devait être entendue de façon large. Notamment, il suffit qu’il y ait « mise à disposition » pour qu’il y ait « acte de communication ». D’où le subtil raisonnement de la Cour : il y a communication au public, mais il n’y a pas de public nouveau, donc il n’y a pas communication au public. 

Voilà une façon pour le droit d’auteur de surfer sur internet sans perdre l’équilibre.


http://www.adbs.fr/docsi-n-1-mars-2014-dossier-la-documentation-technique-un-enjeu-strategique-pour-l-entreprise-139014.htm?RH=REVUE#KLINK
Cette chronique est initialement parue le 25 mars 2014 dans la belle revue Documentaliste

Référence : Laure MARINO, "Arrêt Svensson : les hyperliens en liberté (conditionnelle)", Documentaliste, vol. 51, n° 1, mars 2014, p. 27.

Les chroniques suivantes :
Volume 51, N° 1, paru le 25 mars 2014
Volume 51, N° 1, paru le 25 mars 2014
Volume 51, N° 1, paru le 25 mars 2014
DocSI, n° 1, mars 2014
DocSI, n° 1, mars 2014

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