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27/07/2016

H&M c/ Yves Saint Laurent : le tribunal de l’UE a plus d’un tour dans son sac pour apprécier la condition de caractère individuel !

S’ajoutant à la nouveauté, le caractère individuel est la seconde condition d’obtention de la protection par le droit des dessins et modèles, et c’est aussi la plus mystérieuse. On sait que ce caractère individuel résulte de l’impression globale différente produite par le dessin ou modèle sur l’utilisateur averti. La décision H&M c/ Yves Saint Laurent rendu le 10 septembre 2015 par le tribunal de l’Union européenne apporte d’utiles éclaircissements sur la méthode à suivre pour apprécier cette condition délicate. Il confirme la méthode classique de l’examen en quatre étapes et précise l’incidence du degré de liberté du créateur, tout en insistant sur l’importance de l’impression globale. Au final, le tribunal confirme la validité du modèle de sac à main d’Yves Saint Laurent contesté par H&M.

Trib. UE, 10 sept. 2015, n° T-525/13 et T-526/13, H&M Hennes & Mauritz c/ OHMI et Yves Saint Laurent (Sacs à main), M. Frimodt Nielsen, prés.


Avec la nouveauté, le caractère individuel est la seconde condition d’obtention de la protection par le droit des dessins et modèles, et c’est aussi la plus mystérieuse (règl. n° 6/2002, 12 déc. 2001 sur les dessins ou modèles communautaires [RDMC], art. 6). On sait que ce caractère individuel résulte de l’impression globale différente produite par le dessin ou modèle sur l’utilisateur averti. Mais quelle est la méthode à suivre pour l’apprécier ? La décision H&M c/ Yves Saint-Laurent rendu le 10 septembre 2015 par le tribunal de l’Union européenne apporte d’utiles éclaircissements.


Demande en nullité fondée sur le défaut de caractère individuel du modèle. Les juges européens statuent ici sur une demande en nullité d’un modèle communautaire de sac à main, enregistré par la société Yves Saint Laurent en 2006.



La demande en nullité est présentée par la société H&M pour défaut de caractère individuel sur le fondement de l’article 6 du RDMC. À l’appui de cette demande, H&M invoque un modèle antérieur.

Tout comme l’OHMI, le tribunal ne fera pas droit à H&M. Il confirme le caractère individuel du modèle d’Yves Saint Laurent, et donc sa validité.

1) L’incidence de la liberté du créateur au sein d’une analyse multifactorielle

Examen en quatre étapes.- H&M plaidait en faveur d’un « raisonnement en deux étapes » pour apprécier le caractère individuel.

1) Le degré de liberté du créateur devrait selon H&M être le point de départ pour apprécier le caractère individuel et donc faire partie intégrante de l’analyse du caractère individuel. Ce serait une étape préalable et abstraite.

2) La comparaison de l’impression globale produite par chaque dessin ou modèle en cause constituerait la seconde étape.

Le tribunal rejette cette analyse et confirme la méthode classique de l’examen en quatre étapes (Trib. UE, 7 nov. 2013, n° T-666/11, Budziewska c/ OHMI – Puma [félin bondissant]).

1)
Déterminer le secteur des produits concernés. Ici, c’est le secteur des sacs à main féminins.

2)
Identifier l’utilisateur averti des produits concernés, et par suite son degré de connaissance de l’art antérieur et son niveau d’attention. En l’espèce, l’utilisatrice avertie n’est ni l’acheteur moyen de sacs à main ni un connaisseur particulièrement attentif, mais un profil intermédiaire familiarisé avec le produit. Cela va dans la droite ligne de l’important arrêt PepsiCo c/ Grupo rendu en 2011 (CJUE, 20 oct. 2011, C-281/10 P).

3) Caractériser le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du modèle. Ici, « dans le cadre des articles de mode, comme les sacs à main, la marge de liberté du créateur était grande ». C’est d’ailleurs une particularité de l’industrie de la mode.

4)
Comparer les modèles en cause, en tenant compte du secteur concerné, du degré de liberté du créateur et des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le modèle contesté et par tout modèle antérieur divulgué au public.

Le degré de liberté du créateur, variable d’ajustement.- Le degré de liberté du créateur n’est donc qu’« un aspect dont il faut « tenir compte » lorsqu’on analyse la perception de l’utilisateur averti ». Autrement dit, la perception de l’utilisateur averti constitue le cœur de l’analyse, tandis que la liberté du créateur n’est qu’une variable d’ajustement. Concrètement, « le facteur relatif au degré de liberté du créateur peut « renforcer » (ou, a contrario, nuancer) la conclusion quant à l’impression globale produite par chaque dessin ou modèle en cause ». Et c’est donc au moment de la comparaison, et non pas avant, qu’intervient ce degré de liberté.

Le tribunal rejette ainsi une évaluation préliminaire autonome en faveur d’une analyse multifactorielle. On retrouvera cette analyse dans les procédures en nullité, mais aussi dans les actions en contrefaçons.

Les juges européens rappellent ensuite l’incidence de la liberté du créateur, citant la jurisprudence antérieure (Trib. UE, 9 sept. 2011, n° T-11/08, Kwang Yang Motor c/ OHMI et Honda Giken Kogyo, [moteur à combustion interne] – Trib. UE, 25 avr. 2013, n° T-80/10, Bell & Ross c/ OHMI et KIN [boîtier de montre-bracelet]). Ainsi, « plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti ». 

2) Comparaison des impressions globales produites par le dessin ou modèle contesté et par le dessin ou modèle antérieur

Rejet de l’idée d’une liste pondérée.- H&M soutenait ensuite qu’il fallait procéder à une « analyse contextuelle des caractéristiques des sacs en cause ». Cette analyse comprendrait la liste des similitudes entre les modèles en cause, et celles des différences entre ceux-ci, suivie de la précision selon laquelle ces différences ou ces similitudes sont mineures, normales ou majeures.

Le tribunal rejette cette idée de liste pondérée. C’est l’impression globale qui compte, ainsi que la perception de l’utilisateur averti. Or, l’impression produite par le sac d’Yves Saint Laurent est celle d’un modèle « caractérisé par des lignes essentielles et une simplicité formelle ». Au contraire, celle produite par le modèle d’H&M est celle d’un sac « plus ouvragé, caractérisé par des rondeurs et à la surface agrémentée de motifs ornementaux ».

Le tribunal confirme ici l’analyse de l’OHMI. Plus précisément, les modèles se différencient par trois caractéristiques qui influencent leur aspect visuel global de façon déterminante… et qui influencent donc sensiblement l’impression globale de l’utilisatrice avertie.

1) La forme générale des sacs est différente : celui d’Yves Saint Laurent a une forme perceptiblement rectangulaire, tandis que celui d’H&M a le flanc et la base recourbés.

2) La structure des sacs est également différente : une seule pièce de cuir permet de réaliser le corps du sac d’Yves saint Laurent, sans division ou couture apparente ; des coutures divisent celui d’H&M en trois portions.

3) La finition superficielle des sacs diffère aussi : celui d’Yves Saint Laurent est presque totalement lisse, ce qui tranche avec celui d’H&M, parcouru de motifs décoratifs prononcés et réalisés en relief.

Voilà qui incite à insérer des images précises dans la demande d’enregistrement des dessins et modèles. L’issue du procès aurait peut-être été différente si les photographies et dessins du sac d’Yves Saint Laurent n’avaient pas permis aux juges d’apprécier les détails…

Prise en compte de l’utilisation du produit.- Le tribunal confirme enfin que l’appréciation « inclut la manière dont le produit représenté par ledit dessin ou modèle est utilisé » (en ce sens, V. déjà Trib. UE, 21 nov. 2013, n° T-337/12, El Hoger Perfecto del Siglo XXI c/ OHMI). Le modèle d’Yves Saint Laurent se porte uniquement à la main, alors que celui d’H&M doit être porté à l’épaule. Au final, « les différences entre les dessins ou modèles en cause sont importantes et que les ressemblances entre eux sont insignifiantes dans l’impression globale produite par ceux-ci ».

H&M n’a pas formé de pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne. L’affaire est dès lors clôturée. Et elle est dans le sac !

À lire en intégralité à la revue Propriété industrielle !
 
Référence : H&M c/ Yves Saint Laurent : le tribunal de l’UE a plus d’un tour dans son sac pour apprécier la condition de caractère individuel ! (note sous Trib UE, 10 sept. 2015, T-525/13 et T-526/13, H&M Hennes & Mauritz c/ OHMI et Yves Saint Laurent [Sacs à main]) : Propriété industrielle n° 3, mars 2016, comm. 22, note Laure MARINO.


☛ Voir les autres notes de jurisprudence parues dans la rubrique "Dessins et modèles" :

19/06/2014

Affaire Karen Millen : les bons conseils de mode sur le caractère individuel

L’avocat général Melchior Wathelet a rendu ses conclusions dans l’affaire Karen Millen (CJUE, 2 avr. 2014, aff. C-345/13).

Il estime que le caractère individuel d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré (DMCNE) ne peut être mis en cause par un assemblage d’éléments tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs qui produirait une impression globale semblable. Il considère par ailleurs que le caractère individuel d’un DMCNE n’a pas à être prouvé par son titulaire qui agit en contrefaçon.

Karen Millen est une entreprise anglaise réputée, qui fabrique et vend des vêtements féminins. En 2005, elle crée et met en vente un chemisier rayé bleu, le même en brun, ainsi qu’un haut noir en maille. L’année d’après, elle s’aperçoit que ces modèles ont été copiés par Dunnes, une importante chaîne de grands magasins irlandaise, qui vend notamment des vêtements.

Karen Millen agit alors en contrefaçon contre Dunnes. L’entreprise copiée affirme être titulaire de DMCNE sur les modèles en cause. De son côté, l’entreprise copieuse reconnaît volontiers son forfait (difficile de nier l’évidence, isn’t it ?!), mais elle estime que ces modèles sont libres de droits et peuvent donc être librement reproduits. Pourquoi ? Parce qu’un modèle non enregistré, tout comme un modèle enregistré au demeurant, doit non seulement être nouveau, mais aussi posséder un caractère individuel pour être protégé au titre des DMCNE (Règl. n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires [RDMC], art. 6)...

***

L’affaire Karen Millen est ainsi une saga judiciaire irlandaise qui a débuté il y a sept ans. Elle se poursuit à Luxembourg-Ville, à la Cour de justice de l’Union européenne, avec les conclusions de l’avocat général Melchior Wathelet... en attendant la suite. Si ces conclusions sont suivies par la Cour, l’action en contrefaçon des dessins ou modèles communautaires des dessins ou modèles communautaires non enregistrés (DMCNE) sera facilitée. Et le contentieux aujourd’hui clairsemé pourrait bien s’amplifier. C’est dire l’importance de suivre ce fashion litige, centré sur la fameuse exigence de caractère individuel .

En deux points :

(1) le caractère individuel d’un DMCNE ne peut être mis en cause par un assemblage d’éléments tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs ;

(2) le caractère individuel d’un DMCNE n’a pas à être prouvé par son titulaire.

À lire dans la revue Propriété industrielle,
rubrique "Dessins et modèles" ! 


Karen Millen  à gauche, Dunnes à droite

Références : Laure MARINO, Affaire Karen Millen : les bons conseils de mode sur le caractère individuel (note sous CJUE, conc. av. gén. M. Wathelet, 2 avr. 2014, aff. C-345/13, Karen Millen Fashions Ltd c/ Dunnes Stores, Dunnes Stores [Limerick] Ltd : Propriété industrielle n° 6, juin 2014, comm. 51.

☛ Voir les autres notes de jurisprudence parues dans la rubrique "Dessins et modèles" :

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