Affichage des articles dont le libellé est DMC. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est DMC. Afficher tous les articles

08/10/2015

Droit des dessins et modèles : que la force de la preuve via internet soit avec toi !

The Internet Messenger by Buky Schwartz in Holon.
Rendue le 5 février 2015 par la 3e chambre de recours de l’OHMI, cette décision Actona c/ Inter Link confirme la force de la preuve via internet (OHMI, 3e ch. rec., 5 févr. 2015, aff. R-1496/2013-3, Actona Company A/S c/ Inter Link SAS). Et la force n’est pas ici un vain mot ! En effet, l’office européen se contente en l’espèce d’une preuve tirée de l’impression d’une unique page web, tout en créant une présomption de fiabilité pour certaines informations online.
 
Concrètement, l’impression d’une unique page web du cybervendeur Amazon permet de prouver la divulgation et la date de divulgation d’une antériorité diffusée sur internet. Le défaut de nouveauté du dessin ou modèle communautaire contesté est ainsi démontré.

1. Force d’une preuve unique par une information extraite d’internet

C’est classique. Arguant d’un défaut de nouveauté, une entreprise alsacienne dénommée Inter Link conteste la validité d’un dessin et modèle communautaire (DMC) déposé par Actona, une société danoise. Ce DMC représente une table à café et a été enregistré le 10 mars 2009.

 
Dessin et modèle communautaire déposé par Actona et enregistré le 10 mars 2009
 
L’entreprise alsacienne en veut pour preuve qu’une table à café identique a été mise en vente sur internet plus de deux ans avant le dépôt du DMC. À l’appui de ses prétentions, elle fournit l’impression de la page web contenant l’offre en question. L’offre est en ligne sur le célèbre cybervendeur Amazon, dans la version allemande du site. En bas de la page, on peut lire : Im Angebot von Amazon.de seit : 19 Januar 2007 (proposé par Amazon depuis : 19 janvier 2007).

 
 
Impression de la page web apportée en preuve par Inter Link, indiquant que la table est proposée par Amazon.de depuis le 19 janvier 2007
La divulgation d’une telle antériorité diffusée sur internet permettait assurément de combattre la nouveauté du DMC, et elle n’était d’ailleurs pas discutée. En revanche, la date de cette divulgation était contestée par le titulaire du DMC et c’est cette question qui a fait débat devant l’OHMI… en vain. En 2013, la division d’annulation accueille en effet la preuve internet et déclare la nullité du dessin ou modèle pour défaut de nouveauté. En 2015, en appel, la chambre des recours confirme.
C’est qu’à vrai dire, le titulaire du DMC n’a pas visé juste. Son adversaire produisait l’impression d’une page web contenant une date insérée automatiquement par Amazon. Pour contester cette preuve, Actona a versé au débat plusieurs documents internes, tels que capture d’écran, dessins, photographies et données compilées sur son propre papier à entête. Mais la valeur probante de tels documents internes est faible. Pour la chambre des recours, « même si les documents internes sont des éléments de preuve valable, ils doivent être corroborés par d’autres éléments de preuve » (« Even though internal documents are valid items of evidence they need to be corroborated by other evidence »). La preuve unique fournie par Inter Link était autrement plus forte, car elle provenait d’un tiers au litige.
En droit des dessins et modèles, il arrive de plus en plus fréquemment de prouver la divulgation et sa date par une information extraite d’internet L’office européen a même fait le point sur la question dans ses directives (OHMI, dir. relatives à l’examen devant lOffice, dessins ou modèles communautaires enregistrés, final version 1.0, 1er févr. 2015, p. 31, n° 5.5.1.4).

2. Présomption de fiabilité pour certaines informations online

En pratique, un tel accueil probatoire est extrêmement important, car la preuve internet est bien souvent l’unique preuve, comme en l’espèce. Pour en faciliter l’administration, l’office européen crée même une présomption de fiabilité. Ses directives sont parfaitement claires en ce sens, puisqu’elles indiquent que « la date de divulgation sur internet sera notamment considérée fiable » dans certains cas énumérés (OHMI, dir. préc., p. 31).
Naturellement, cette présomption de fiabilité pour certaines informations online n’est qu’une présomption simple. En l’espèce, le titulaire du DMC pouvait toujours prouver que la date indiquée sur la page web n’était pas exacte. Mais il s’est malheureusement borné à fournir des preuves issues de documents internes, ce qui est une démarche inadaptée. Comme la contestation portait sur la date indiquée sur la page web, il aurait fallu jeter un doute sur la fiabilité présumée de cette preuve et détruire par là même la présomption. Autrement dit, ce n’est pas en fournissant des preuves annexes qu’on combat ce type de preuve ; il faut l’attaquer directement. On peut prouver, par exemple, que la date de mise en ligne a pu être manipulée ou modifiée ultérieurement. Mais ce n’était sans doute pas facile ici, car la page est datée dès sa création par Amazon, qui est un site de confiance, qui est un tiers et qui n’a aucune raison de se tromper.
À lire en intégralité à la revue Propriété industrielle !
 
 
Référence : Que la force de la preuve via Internet soit avec toi ! (note sous OHMI, 3e ch. rec., 5 févr. 2015, aff. R-1496/2013-3, Actona Company A/S c/ Inter Link SAS) : Propriété industrielle n° 6, juin 2015, comm. 47, note Laure MARINO.
 
 
Entrez votre adresse mail pour nous suivre par email :
 
 
 
 

 

20/08/2015

Karen Millen : un arrêt fashion favorable aux titulaires de droits

Je vois double ! C'est grave, docteur ?!
Dunnes à gauche, Karen Millen à droite... (Source : independent.ie)
 
Rendu le 19 juin 2014 par la Cour de justice de l’Union européenne, l’arrêt préjudiciel Karen Millen est centré sur la fameuse exigence de caractère individuel (CJUE, 2e ch., 19 juin 2014, aff. C-345/13, Karen Millen Fashions Ltd c/ Dunnes Stores et a. - demande de décision préjudicielle de la Supreme Court [Irlande], Mme Silva de Lapuerta, prés.).
 
Il apporte d’utiles précisions sur cette condition : d’une part, le caractère individuel d’un dessin ou modèle ne peut être mis en cause par une combinaison d’éléments tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs ; d’autre part, le caractère individuel d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré (DMCNE) n’a pas à être prouvé par son titulaire. La protection des dessins et modèles en sort renforcée.

Karen Millen est une entreprise anglaise réputée, qui fabrique et vend des vêtements féminins. Elle agit en contrefaçon contre Dunnes, une importante chaîne de grands magasins irlandaise, notamment en raison de la copie d’un chemisier bleu rayé, le même en brun, ainsi qu’un haut noir en maille, tous trois créés et mis en vente en 2005. Deux ans plus tard, elle obtient gain de cause en première instance (Irish High Court of Justice, 21 déc. 2007, Karen Millen c/ Dunnes Stores, [2007] IEHC 449).  
 

Karen Millen à gauche, Dunnes à droite
L’entreprise copieuse reconnaît volontiers son forfait, mais elle estime que le modèle est libre de droits, car il ne possède pas un caractère individuel. Elle interjette alors appel devant la Supreme Court of Ireland, qui saisit la Cour de justice de l’Union européenne avec deux importantes questions préjudicielles. Pour répondre, les juges européens suivent les remarquables conclusions de l’avocat général Melchior Wathelet (CJUE, 2 avr. 2014, n° C-345/13), en deux points.
 
 
1. Le caractère individuel d’un dessin ou modèle ne peut être mis en cause par une combinaison d’éléments tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs

Inopposabilité d’un patchwork d’éléments épars.- Le caractère individuel résulte de l’impression globale différente produite par le dessin ou modèle sur l’utilisateur averti. De plus, pour un DMCNE, cette impression globale doit être différente de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué au public avant sa propre divulgation. Or, Dunnes s’appuie sur plusieurs modèles antérieurs, en tirant de chacun des éléments épars, puis en assemblant ces éléments afin de démontrer que cet amalgame produit une impression globale semblable… Interprétant l’article 6 du RDMC, la Cour de justice considère qu’un tel patchwork d’éléments épars est inopposable : « l’impression globale que ce dessin ou modèle produit sur l’utilisateur averti doit être différente de celle produite sur un tel utilisateur non pas par une combinaison d’éléments isolés, tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs, mais par un ou plusieurs dessins ou modèles antérieurs, pris individuellement ».

Portée de l’arrêt.- La solution aura une grande portée, car elle vaudra aussi bien pour les modèles non enregistrés ici en cause, que pour les modèles enregistrés (le texte ne distinguant pas). Elle permettra de ne pas alourdir les conditions de la protection des dessins et modèles, qui sont déjà exigeantes, à bien y réfléchir, puisque la nouveauté n’est jamais suffisante. Mais surtout, elle sera particulièrement importante dans l’industrie de la mode, où les créations sont incrémentales et résultent souvent d’une évolution, d’une réinterprétation ou d’une combinaison nouvelle d’éléments anciens. La solution inverse aboutirait à laisser sans protection une grande partie des créations de mode !

2. Le caractère individuel d’un DMCNE n’a pas à être prouvé par son titulaire

Jeu de la présomption de validité.- Par ailleurs, la Cour de justice interprète l’article 85 du RDMC, qui pose une présomption simple de validité, et plus précisément son paragraphe 2, qui s’applique spécialement aux DMCNE. Il s’agit ici de savoir si le demandeur à l’action en contrefaçon doit prouver le caractère individuel du DMCNE invoqué ou s’il peut se contenter d’indiquer en quoi celui-ci présente un caractère individuel. La Cour de justice se prononce alors en faveur de la solution la plus souple pour le demandeur à l’action en contrefaçon : « le titulaire de ce dessin ou modèle n’est pas tenu de prouver que celui-ci présente un caractère individuel (…), mais doit uniquement indiquer en quoi ledit dessin ou modèle présente un tel caractère, c’est-à-dire identifier le ou les éléments du dessin ou modèle concerné qui, selon ce titulaire, lui confèrent ce caractère ».
 
Pour la Cour comme pour l’avocat général, une interprétation différente « ne serait pas conforme à l’objectif de simplicité et de rapidité ayant (….) justifié la protection du dessin ou modèle communautaire non enregistré ». Ce serait en effet infliger ici une charge de la preuve qui n’est pas imposée au titulaire d’un DMCE… alors que cette preuve est quasi impossible à apporter. Et puis s’il fallait tout prouver, ce ne serait plus une présomption !

Portée de l’arrêt.- Cette interprétation contribuera à rapprocher le régime des DMCNE et des dessins et modèles communautaires enregistrés (DMCE). Elle facilitera grandement l’accès à la protection pour les DMCNE et, sans doute, contribuera à accroître le contentieux. Pour l’industrie de la mode, elle sera particulièrement bienvenue, car les DMCNE y sont extrêmement nombreux (l’enregistrement n’est évidemment pas adapté aux produits dont le cycle de vie est très court, comme les produits de la mode). Au-delà, elle pourra même intéresser les titulaires d’un DMCE, puisqu’il deviendra encore plus intéressant d’invoquer un DMCNE… même si on a un DMCE. À condition d’être dans les délais (trois ans), cela permet d’échapper à la rigidité du modèle enregistré. Un arrêt fashion qui va (re)lancer la mode des DMCNE ! Le contentieux aujourd’hui clairsemé pourrait bien s’amplifier.
À lire en intégralité à la revue Propriété industrielle !
 
Entrez votre adresse mail pour nous suivre par email :