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04/07/2016

Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle (janvier à avril 2016)

Droit d’auteur, brevets et marques. Voici quelques « coups de projecteur » sur la jurisprudence française et européenne en droit de la propriété intellectuelle, pour éclairer la période de quatre mois allant de janvier à avril 2016. Allostreaming, Playtv.fr, GS Media : les décisions qui m’ont paru importantes en droit d’auteur et droits voisins portent toutes sur des questions nouvelles liées à internet. Signe des temps… Et même celle qui a été jugée « ailleurs » présente cette caractéristique : aux États-Unis, la spectaculaire affaire Google Books vient de connaître son dénouement avec une victoire pour la bibliothèque numérique géante de Google.


I. DROITS D’AUTEUR ET DROITS VOISINS

Allostreaming : les coûts du blocage et du déréférencement de sites pirates mis à la charge des FAI et des moteurs de recherche !

CA Paris, 5-1, 15 mars 2016, n° 14/01359, Association des producteurs de cinéma (APC), Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF), Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN) et a. c/ SA Orange et a., M. Rajbaut, prés.

Voici un arrêt attendu et remarqué ! Le 15 mars 2016, la cour d’appel de Paris s’est enfin prononcée sur l’importante affaire Allostreaming. La question du blocage et du déréférencement de seize sites pirates de streaming appartenant à la galaxie Allostreaming se trouvait au cœur du différend (ces sites permettent aux internautes de visionner des films et séries, diffusés en flux). Et la question des coûts du blocage et du déréférencement de ces sites se trouvait au cœur de l’appel. La cour décide de les mettre à la charge des fournisseurs d’accès à internet (FAI) et des moteurs de recherche. Elle infirme ainsi la décision des premiers juges sur ce point névralgique (TGI Paris, ord. réf., 28 nov. 2013, n° 11/60013, Association des producteurs de cinéma [APC], Fédération nationale des distributeurs de films [FNDF], Syndicat de l’édition vidéo numérique [SEVN] et a. c/ Auchan Telecom et a. : Gaz. Pal. 6 mars 2014, p. 22, note L. Marino L. ; RLDI janv. 2014/100, n° 3307, note W. Duhen).


Arrêt PlayTV : un cocktail de questions passionnantes mêlant le must carry, la contrefaçon par fourniture de liens hypertextes et l’interprétation du droit européen !

CA Paris, 5-1, 2 févr. 2016, n° 14/20444, Playmédia c/ France Télévisions, M. Rajbaut, prés. ; Mes Bernheim, Grappotte-Benetreau et Kamina, av.

Au stade de l’appel, l’affaire Playtv.fr forme un véritable cocktail de questions passionnantes : contrefaçon par diffusion en streaming, application du régime du must carry, contrefaçon par fourniture de liens hypertextes, interprétation du droit européen ! Et c’est un cocktail d’autant plus précieux que les droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle en constituent la base (or la jurisprudence est rare en ce domaine). Dans cet intéressant arrêt rendu le 2 février 2016, la cour d’appel de Paris considère, notamment, que les décisions Svensson  (lire ma note ici) et Bestwater International rendues par la Cour de justice de l’Union européenne ne concernent que le droit d’auteur, et non les droits voisins de l’entreprise de communication audiovisuelle ici en cause. Par conséquent, les liens profonds contenus dans playtv.fr sont jugés contrefaisants.


GS Media : l’avocat général Wathelet défend les liens hypertextes !

CJUE, concl. av. gén. M. Wathelet, 7 avr. 2016, n° C-160/15, GS Media BV c/ Sanoma Media Netherlands BV et a. (demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden [Cour suprême des Pays-Bas])

GS Media : c’est THE nouvelle affaire sur les liens hypertextes à l’épreuve du droit d’auteur ! Placer sur son site un lien hypertexte qui renvoie vers un site tiers qui a publié des photos sans autorisation ? Ce n’est pas une contrefaçon, a répondu l’avocat général Melchior Wathelet dans ses conclusions parues le 7 avril 2016. Si la Cour de justice de l’Union européenne le suit, l’arrêt sera honni par les ayants droit… et s’il ne le suit pas, les internautes vont hurler ! Une chose est sûre : la décision de la CJUE ne passera pas inaperçue.

II. BREVETS


Compétence du tribunal de grande instance ou du tribunal de commerce ? La ligne de partage est désormais claire en droit des brevets !

Cass. com., 16 févr. 2016, n° 14-25340, Sté de Trevillers et a. c/ Sté Abzac packaging et a., FS-PB (rejet pourvoi CA Bordeaux, 18 juin 2014), Mme Mouillard, prés. ; SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Waquet, Farge et Hazan, av.

Cass. com., 16 févr. 2016, n° 14-24295, FS-PB, Sté Enez Sun et a. c/ Sté Europe et communication, FS-PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 3 juill. 2014), Mme Mouillard, prés. ; Me Bertrand, SCP Waquet, Farge et Hazan, av.

Tribunal de grande instance ou tribunal de commerce ? En droit des brevets, la ligne de partage ne se dessinait pas toujours très nettement. Dans un arrêt Chlorotech rendu le 7 juin 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait apporté une réponse claire, mais certains juges du fond n’avaient pas suivi. Dans deux importants arrêts jumeaux rendus le 16 février 2016, la même chambre commerciale enfonce le clou. Elle pose une solution simple fondée sur la demande principale au fond. Si, dans leurs demandes, les demandeurs invoquent des droits de brevet, seul le tribunal de grande instance est compétent. S’ils n’en invoquent pas, il faut saisir le tribunal de commerce. On peut espérer que ce raisonnement s’imposera à l’avenir. Et qu’il sera étendu à tous les droits de propriété intellectuelle.
III. MARQUES


Non, « les sans dents » ne sera pas une marque !

CA Paris, P. 5, ch. 2, 26 févr. 2016, n° 14/20 555, Mme C., déclarante au recours, en présence du directeur de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), Mme Perrin, prés.

L’INPI a rejeté la demande d’enregistrement de la marque verbale « les sans dents » : ce signe « apparaît contraire à l’ordre public en ce qu’il fait référence à des propos polémiques prêtés à Monsieur François Hollande, président de la République française et porte ainsi atteinte à la fonction de chef de l’État (...) ». Le 26 février 2016, la cour d’appel de Paris a confirmé, en relevant que ce signe sera perçu « comme une incitation à contrevenir à des principes essentiels au bon fonctionnement de la société ou comme une offense pour une partie du public concerné ». Elle balaie les arguments de la demanderesse, notamment celui (intéressant) qui était fondé sur la liberté d’expression.


●  Le paquet neutre fait un tabac au Conseil constitutionnel

Cons. const., 21 janv. 2016, n° 2015-727, loi de modernisation de notre système de santé : JO 27 janv. 2016

Le nouvel article L. 3511-6-1 du Code de la santé publique fait débat en droit de la propriété intellectuelle, et spécialement en droit des marques. Il impose en effet que les paquets de cigarettes fabriqués à compter du 20 mai soient « neutres et uniformisés ». Le 21 janvier 2016, le Conseil constitutionnel a toutefois jugé que cette disposition est bien conforme à la Constitution. Pour les Sages, l’instauration du paquet neutre n’institue pas une privation du droit de propriété sur la marque. Et il n’en résulte pas non plus une atteinte injustifiée et manifestement disproportionnée. Soit, mais l’analyse est globale ! Une réflexion plus fine aurait conduit à distinguer les divers types de marques : la marque verbale demeure, certes, mais les marques figuratives ou semi-figuratives sont complètement bannies.

Paquet neutre



IV. DANS LE MONDE


Google Books : fin de la saga judiciaire et triomphe du fair use

Supreme Court of the United States, 18 avr. 2016, The Authors Guild et a. c/ Google (Order list n° 15-849)

Outre-Atlantique, la spectaculaire affaire Google Books vient de connaître son dénouement avec une victoire pour la bibliothèque numérique géante de Google. Le 18 avril 2016, la Cour suprême des États-Unis a en effet rejeté le recours de l’Authors Guild. Cela signifie qu’elle a refusé de statuer (la Cour suprême « choisit » ses affaires). Par conséquent, la décision de la Court of Appeals for the Second Circuit rendue en octobre 2015 (lire ma note ici) est confirmée et devient définitive, faisant droit à Google : tout cela relève du fair use.


À lire en intégralité à la Gazette du Palais ! 



Références : Laure Marino, "Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle", Gazette du Palais, 28 juin 2016, n° 24, p. 25 et s.



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23/03/2016

Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle (septembre à décembre 2015)

Dessin Julien Couty : l'INPI contre les vautours (Télérama)
Voici quelques coups de projecteur sur la jurisprudence française et européenne en la matière, pour éclairer la période de quatre mois allant de septembre à décembre 2015. Et une décision venue d’ailleurs s’y ajoute : aux États-Unis, la spectaculaire affaire Google Books se poursuit devant la Court of Appeals for the Federal Circuit avec une victoire pour la bibliothèque numérique géante de Google.

I. Propriété littéraire et artistique

Arrêt SBS Belgium c/ SABAM : l’effet de la révolution numérique sur la « communication au public » (note sous CJUE, 19 nov. 2015, n° C-325/14, SBS Belgium NV c/ SABAM [Belgische Vereniging van Auteurs, Componisten en Uitgevers], M. Malenovský, prés.)
Dans l’arrêt SBS Belgium c/ SABAM rendu le 19 novembre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne plonge au cœur de la télévision numérique. Elle analyse en effet la nouvelle technique de « l’injection directe » pour mieux la confronter à la notion de communication au public au sens de l’article 3 de la directive n° 2001/29 « société de l’information » du 22 mai 2001. « L’injection directe » est un processus en deux temps dans le cadre duquel un diffuseur (ici, un diffuseur télé) transmet ses signaux porteurs de programmes à ses distributeurs par une ligne point à point privée. Ces signaux sont ensuite transmis par les distributeurs à leurs abonnés. Pour la Cour de justice, la transmission de signaux non accessibles au public n’est pas un acte de communication au public. Par conséquent, un diffuseur qui diffuse ses programmes par la technique de « l’injection directe » n’effectue aucun acte de communication au public au sens de l’article 3.
Exploitation des archives audiovisuelles : l’INA bouscule les droits des artistes-interprètes (note sous Cass. 1re civ., 14 oct. 2015, n° 14-19917, INA [Institut national de l’audiovisuel] c/ MM. C. et S., FS–PBI - cassation partielle CA Paris, P. 5, ch. 1, 11 juin 2014, Mme Batut, prés. ; SCP Hémery et Thomas-Raquin, av.)
L’INA (Institut national de l’audiovisuel) a pour mission de conserver et d’exploiter les archives audiovisuelles nationales, et bénéficie à ce titre d’un régime dérogatoire. La première chambre civile de la Cour de cassation se prononce sur ce régime dérogatoire dans un important arrêt rendu le 14 octobre 2015. Et elle décide que l’Institut peut exploiter ces archives audiovisuelles sans avoir à apporter la preuve que l’artiste-interprète a autorisé la première exploitation de sa prestation. L’INA marque ici un point au détriment des droits des artistes-interprètes.
II. Brevets  
• Quelques jours supplémentaires gagnés pour les certificats complémentaires de protection ! (note sous CJUE, 6 oct. 2015, n° C-471/14, Seattle Genetics Inc. c/ Österreichisches Patentamt, M. Caoimh, prés.)
Dans son arrêt Seattle Genetics rendu le 6 octobre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne clarifie et harmonise la computation du délai des certificats complémentaires de protection. La date à prendre en compte est celle de la notification de la décision octroyant l’autorisation de mise sur le marché. Cela permet au laboratoire pharmaceutique demandeur de gagner quelques jours !
III. Marques, dessins et modèles
• Non, « Pray for Paris » et « Je suis Paris » ne seront pas des marques ! (note sous INPI, communiqué de presse, 20 nov.2015)
Le 13 janvier 2015, l’INPI annonçait avoir refusé d’enregistrer une cinquantaine de demandes pour la marque « Je suis Charlie ». L’Institut se fondait sur leur défaut de distinctivité.
Le 20 novembre 2015, l’INPI annonce de même avoir repoussé plus d’une dizaine de demandes pour les marques « Pray for Paris » et « Je suis Paris ». Mais cette fois, l’Institut opte pour un autre fondement : « elles apparaissent contraires à l’ordre public ». Cette approche révisée possède une véritable charge morale. Elle me paraît très opportune.
•  Marque tridimensionnelle : la CJUE ravive l’espoir pour la barre Kit Kat (note sous CJUE, 16 sept. 2015, n° C-215/14, Sté des Produits Nestlé SA c/ Cadbury UK Ltd, M. Tizzano, prés.)
Avec l’arrêt Kit Kat du 16 septembre 2015, la Cour de justice de l’Union européenne apporte une pierre supplémentaire à l’édifice de plus en plus impressionnant du droit des marques tridimensionnelles. La décision est importante, tant sur la question de la preuve de l’acquisition du caractère distinctif que sur celle des motifs de refus d’enregistrement d’une marque pour un signe « nécessaire ». Elle est également porteuse d’espoir pour l’enregistrement en tant que marque de la forme nue de la barre chocolatée Kit Kat (sans indication des termes « Kit Kat »). 
•  H&M c/ Yves Saint Laurent : la bonne méthode à suivre pour apprécier la condition de caractère individuel en droit des dessins et modèles communautaires (note sous Trib. UE, 10 sept. 2015, n° T-525/13 et T-526/13, H&M Hennes & Mauritz c/ OHMI et Yves Saint Laurent [Sacs à main], M. Frimodt Nielsen, prés.)
S’ajoutant à la nouveauté, le caractère individuel est la seconde condition d’obtention de la protection par le droit des dessins et modèles, et c’est aussi la plus mystérieuse. On sait que ce caractère individuel résulte de l’impression globale différente produite par le dessin ou modèle sur l’utilisateur averti. La décision H&M c/ Yves Saint Laurent rendu le 10 septembre 2015 par le tribunal de l’Union européenne apporte d’utiles éclaircissements sur la méthode à suivre pour apprécier cette condition délicate. Il confirme la méthode classique de l’examen en quatre étapes et précise l’incidence du degré de liberté du créateur, tout en insistant sur l’importance de l’impression globale. Au final, le modèle de sac à main d’Yves Saint Laurent contesté par H&M n’est pas invalidé.
Modèle d'YSL
Modèle antérieur d'H&M
     
✐ L’affaire est clôturée. H&M n’a pas formé de pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne.

IV. Internet (questions transversales)
•  Référencement naturel sur Internet : attention à la contrefaçon de marque ! (note sous Cass. com., 29 sept. 2015, n° 14-14572, M. X c/ M. Y et a., D - cassation partielle CA Paris, 27 nov. 2013, Mme Mouillard, prés. ; Mes Bertrand et Haas, av.)
Dans un arrêt du 29 septembre 2015, la chambre commerciale de la Cour de cassation condamne Biofficine, cybervendeur de compléments alimentaires, pour contrefaçon de marque en raison d’un risque de confusion sur l’origine des produits en cause. Le risque de confusion est le risque que le public puisse croire que les produits en cause proviennent d’entreprises liées économiquement. Ce risque résulte ici de l’apparition des sites du cybervendeur, en première position, dans les résultats naturels proposés par le moteur de recherche Google, lors de recherches effectuées par des mots-clés comportant la marque d’un producteur de compléments alimentaires. Le référencement naturel sur Internet constitue donc ici un acte de contrefaçon. La solution est sévère !
 V. Dans le monde  
•  États-Unis : Google Books sauvé par le fair use (note sous US Court of Appeals for the Second Circuit, 16 oct. 2015, n° 13-4829-cv, The Authors Guild et a. c/ Google Inc., Leval, Cabranes, Parker, juges)
Outre-Atlantique, la spectaculaire affaire Google Books se poursuit avec une victoire pour la bibliothèque numérique géante de Google. Le 16 octobre 2015, la Court of Appeals for the Second Circuit a en effet confirmé le jugement de fond de 2013. Ainsi, aux États-Unis, la numérisation par Google d’œuvres protégées par le copyright, sans autorisation des ayants droit, ainsi que la création d’une fonction de recherche et l’affichage d’extraits de ces œuvres (snippets) sont couverts par le fair use. Ce ne sont donc pas des usages contrefaisants.

✐ Le 31 décembre 2015, l’Authors Guild a déposé une requête devant la Cour suprême des États-Unis. L’affaire va donc peut-être se poursuivre.
À lire en intégralité à la Gazette du Palais ! 
Références : Laure Marino, "Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle", Gazette du Palais, 9 février 2016, n° 6, p. 31 et s.


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08/10/2015

Droit des dessins et modèles : que la force de la preuve via internet soit avec toi !

The Internet Messenger by Buky Schwartz in Holon.
Rendue le 5 février 2015 par la 3e chambre de recours de l’OHMI, cette décision Actona c/ Inter Link confirme la force de la preuve via internet (OHMI, 3e ch. rec., 5 févr. 2015, aff. R-1496/2013-3, Actona Company A/S c/ Inter Link SAS). Et la force n’est pas ici un vain mot ! En effet, l’office européen se contente en l’espèce d’une preuve tirée de l’impression d’une unique page web, tout en créant une présomption de fiabilité pour certaines informations online.
 
Concrètement, l’impression d’une unique page web du cybervendeur Amazon permet de prouver la divulgation et la date de divulgation d’une antériorité diffusée sur internet. Le défaut de nouveauté du dessin ou modèle communautaire contesté est ainsi démontré.

1. Force d’une preuve unique par une information extraite d’internet

C’est classique. Arguant d’un défaut de nouveauté, une entreprise alsacienne dénommée Inter Link conteste la validité d’un dessin et modèle communautaire (DMC) déposé par Actona, une société danoise. Ce DMC représente une table à café et a été enregistré le 10 mars 2009.

 
Dessin et modèle communautaire déposé par Actona et enregistré le 10 mars 2009
 
L’entreprise alsacienne en veut pour preuve qu’une table à café identique a été mise en vente sur internet plus de deux ans avant le dépôt du DMC. À l’appui de ses prétentions, elle fournit l’impression de la page web contenant l’offre en question. L’offre est en ligne sur le célèbre cybervendeur Amazon, dans la version allemande du site. En bas de la page, on peut lire : Im Angebot von Amazon.de seit : 19 Januar 2007 (proposé par Amazon depuis : 19 janvier 2007).

 
 
Impression de la page web apportée en preuve par Inter Link, indiquant que la table est proposée par Amazon.de depuis le 19 janvier 2007
La divulgation d’une telle antériorité diffusée sur internet permettait assurément de combattre la nouveauté du DMC, et elle n’était d’ailleurs pas discutée. En revanche, la date de cette divulgation était contestée par le titulaire du DMC et c’est cette question qui a fait débat devant l’OHMI… en vain. En 2013, la division d’annulation accueille en effet la preuve internet et déclare la nullité du dessin ou modèle pour défaut de nouveauté. En 2015, en appel, la chambre des recours confirme.
C’est qu’à vrai dire, le titulaire du DMC n’a pas visé juste. Son adversaire produisait l’impression d’une page web contenant une date insérée automatiquement par Amazon. Pour contester cette preuve, Actona a versé au débat plusieurs documents internes, tels que capture d’écran, dessins, photographies et données compilées sur son propre papier à entête. Mais la valeur probante de tels documents internes est faible. Pour la chambre des recours, « même si les documents internes sont des éléments de preuve valable, ils doivent être corroborés par d’autres éléments de preuve » (« Even though internal documents are valid items of evidence they need to be corroborated by other evidence »). La preuve unique fournie par Inter Link était autrement plus forte, car elle provenait d’un tiers au litige.
En droit des dessins et modèles, il arrive de plus en plus fréquemment de prouver la divulgation et sa date par une information extraite d’internet L’office européen a même fait le point sur la question dans ses directives (OHMI, dir. relatives à l’examen devant lOffice, dessins ou modèles communautaires enregistrés, final version 1.0, 1er févr. 2015, p. 31, n° 5.5.1.4).

2. Présomption de fiabilité pour certaines informations online

En pratique, un tel accueil probatoire est extrêmement important, car la preuve internet est bien souvent l’unique preuve, comme en l’espèce. Pour en faciliter l’administration, l’office européen crée même une présomption de fiabilité. Ses directives sont parfaitement claires en ce sens, puisqu’elles indiquent que « la date de divulgation sur internet sera notamment considérée fiable » dans certains cas énumérés (OHMI, dir. préc., p. 31).
Naturellement, cette présomption de fiabilité pour certaines informations online n’est qu’une présomption simple. En l’espèce, le titulaire du DMC pouvait toujours prouver que la date indiquée sur la page web n’était pas exacte. Mais il s’est malheureusement borné à fournir des preuves issues de documents internes, ce qui est une démarche inadaptée. Comme la contestation portait sur la date indiquée sur la page web, il aurait fallu jeter un doute sur la fiabilité présumée de cette preuve et détruire par là même la présomption. Autrement dit, ce n’est pas en fournissant des preuves annexes qu’on combat ce type de preuve ; il faut l’attaquer directement. On peut prouver, par exemple, que la date de mise en ligne a pu être manipulée ou modifiée ultérieurement. Mais ce n’était sans doute pas facile ici, car la page est datée dès sa création par Amazon, qui est un site de confiance, qui est un tiers et qui n’a aucune raison de se tromper.
À lire en intégralité à la revue Propriété industrielle !
 
 
Référence : Que la force de la preuve via Internet soit avec toi ! (note sous OHMI, 3e ch. rec., 5 févr. 2015, aff. R-1496/2013-3, Actona Company A/S c/ Inter Link SAS) : Propriété industrielle n° 6, juin 2015, comm. 47, note Laure MARINO.
 
 
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06/11/2014

Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle (mai à août 2014)

Ma chronique d'automne vient de paraître à la Gazette du Palais!

Voici quelques "coups de projecteur" sur la jurisprudence française et européenne en la matière, pour éclairer la période de quatre mois allant de mai à août 2014. Jurisprudence surtout européenne d’ailleurs, signe des temps... Une décision venue d’ailleurs s’y ajoute : l’arrêt Alice, rendu par la Cour suprême des États-Unis, fait souffler un vent nouveau sur la brevetabilité des inventions mises en œuvre par un programme d’ordinateur.



I. Propriété littéraire et artistique

Le tribunal des conflits se prononce clairement sur la compétence exclusive du juge judiciaire en droit d’auteur, au détriment du juge administratif. Ainsi, tout litige né de l’exécution d’un marché public, opposant un auteur et une personne morale de droit public, relève des juridictions de l’ordre judiciaire.

II. Brevets

L’avocat général vient de rendre ses conclusions dans l’affaire ISC, qui porte sur la notion d’embryon humain au regard de la directive n° 98/44, du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques. Il reprend la solution de l’arrêt Brüstle pour en déduire que des parthénotes, ovules humains non fécondés, ne sont pas des embryons, parce qu’ils ne sont pas en mesure de se développer en un être humain. Si cette interprétation était suivie, une technologie qui produit des cellules souches pluripotentes à partir de tels ovocytes non fécondés serait par conséquent brevetable.

III. Marques, dessins et modèles

Selon la Cour de justice de l’Union européenne, la représentation de l’aménagement d’un espace de vente de produits peut être enregistrée comme marque pour des services. Encore faut-il, bien sûr, que le signe soit propre à distinguer les services de l’entreprise de ceux d’autres entreprises.
Représentation de la marque enregistrée par Apple

Arrêt Karen Millen : comme un vêtement de protection pour les dessins et modèles communautaires ! (note sous CJUE, 2e ch., 19 juin 2014, n° C-345/13, Karen Millen Fashions Ltd c/ Dunnes Stores et a. : demande de décision préjudicielle de la Supreme Court, Irlande)
Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en droit des dessins et modèles, cela n’est pas si fréquent ! On y trouvera des précisions sur la condition de caractère individuel : d’une part, le caractère individuel d’un dessin ou modèle ne peut être mis en cause par une combinaison d’éléments tirés de plusieurs dessins ou modèles antérieurs ; d’autre part, le caractère individuel d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré (DMCNE) n’a pas à être prouvé par son titulaire. La protection des dessins et modèles en sort renforcée.
Karen Millen  à gauche, Dunnes à droite
Sur cette affaire, voir aussi Affaire Karen Millen : les bons conseils de mode sur le caractère individuel (commentaire des très riches conclusions de l'avocat général)

IV. Internet (questions transversales)

La Cour de justice affirme que la consultation d’un site web n’est pas une contrefaçon, malgré les copies temporaires qui permettent une navigation efficace. Ces copies sont en effet couvertes par l’exception de reproduction provisoire.

V. Dans le monde

• États-Unis : Alice au pays des brevets de logiciels (note sous Cour suprême des États-Unis, 19 juin 2014, n° 13-298, Alice Corp. c/ CLS Bank International)
Par un important arrêt Alice, la Cour suprême américaine limite la possibilité de breveter les inventions mises en œuvre par un programme d’ordinateur. Il ne suffira plus, désormais, d’automatiser une idée abstraite pour pouvoir la breveter aux États-Unis… ce qui rapproche le droit américain du droit européen.

À lire en intégralité à la Gazette du Palais !



Références : Laure Marino, "Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle", Gazette du Palais, 6 novembre 2014, n° 2014, p. 15 et s.


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