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30/08/2016

Droit des dessins et modèles : le Tribunal de l’UE fait son miel de la condition de caractère individuel !

Au regard du nombre de décisions rendues, la jurisprudence communautaire du droit des dessins et modèles est un minuscule Hobbit à côté du colossal colosse du droit des marques. Mais ce lilliputien s’étoffe peu à peu et l’ossature de ses notions centrales se consolide. Ainsi, la condition de caractère individuel, initialement plutôt mystérieuse, est désormais assez bien explicitée. On atteint même le stade où l’on peut parler de jurisprudence constante au sujet de la divulgation, de l’examen en quatre étapes, de la définition de l’utilisateur averti ou du degré de liberté du créateur… L’arrêt Promarc Technics rendu le 15 octobre 2015 par le Tribunal de l’Union européenne fortifie cette construction prétorienne en la confirmant.

Trib. UE, 15 oct. 2015, n° T-251/14, Promarc Technics c/ OHMI et « PIS » (Pièce de portes) – décision définitive


Demande en nullité fondée sur le défaut de caractère individuel du modèle .- Les juges européens statuent ici sur une demande en nullité d’un modèle communautaire de « pièce de portes », enregistré par la société Promarc Technics en 2009. Il représente une structure en forme de nid d’abeilles.


La demande en nullité est présentée par la société « PIS » pour défaut de nouveauté et de caractère individuel (règl. n° 6/2002 sur les dessins ou modèles communautaires, art. 5 et 6). À l’appui de sa demande, la société « PIS » invoque un brevet américain antérieur, délivré en 1981.


Tout comme l’OHMI, le Tribunal fera droit à la demande en nullité. Le modèle de la société Promarc Technics est certes nouveau, mais il est dépourvu de caractère individuel : il produit la même impression globale que le modèle antérieur sur l’utilisateur averti.

1. Divulgation antérieure d’un brevet sur le site américain de l’USPTO

La divulgation, notion clé .- La divulgation est le pivot central du système européen de protection des dessins et modèles, ainsi qu’une date clé. Elle permet de contrôler la nouveauté et le caractère individuel. Ainsi, pour contester le caractère individuel d’un modèle postérieur, il faut prouver la divulgation d’un modèle antérieur produisant la même impression globale sur l’utilisateur averti.

Or le règlement précise qu’un modèle « est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié (...), ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière [avant la date de dépôt de la demande], sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté » (règl. n° 6/2002 sur les dessins ou modèles communautaires, art. 7, § 1). La divulgation participe donc d’une fiction juridique : le modèle est « réputé avoir été divulgué ». Elle est en outre une notion relative : elle ne compte pas en tant que telle ; elle est conditionnée. Elle ne compte qu’autant que ses faits constitutifs peuvent « raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté ».

Publication dans la base de données de l’USPTO .- Commençons par la présomption : le modèle est « réputé avoir été divulgué s’il a été publié… » Tel est le cas ici dès lors qu’il a été publié dans la base de données de l’USPTO, l’office américain des brevets et des marques. Pour renverser la présomption, il faut donc démontrer que « les milieux spécialisés du secteur ne procèdent pas à des consultations du registre de l’USPTO ». Mais cette preuve n’est pas rapportée en l’espèce. La conclusion s’impose : la publication des fascicules de brevets américains « était, dans la pratique normale des affaires, raisonnablement connue des milieux spécialisés du secteur concerné... ». C’est ce qui avait déjà été affirmé dans l’arrêt Senz (Trib. UE, 5e ch., 21 mai 2015, aff. jtes T-22/13 et T-23/13 [Parapluies] : le commentaire de cette décision est ici).

Il est donc vivement conseillé de consulter en ligne le registre américain avant tout dépôt. Il semble d’ailleurs tout naturel que les milieux spécialisés procèdent à de telles recherches. Il s’agit ni plus ni moins de consulter l’un des registres le plus important et le plus connu du monde !

Publication hors de l’Union européenne .- Pour se défendre, la société Promarc Technics prétendait également que les documents invoqués ne pouvaient être que des documents publiés dans l’Union. Le Tribunal balaye sèchement l’argument en s’appuyant sur l’arrêt Gautzsch : il n’est pas nécessaire que les faits de la divulgation aient eu lieu sur le territoire de l’Union (CJUE, 3e ch., 13 févr. 2014, aff. C-479/12 : le commentaire de cette décision est ici). Pourquoi pas en Chine, donc, comme dans l’arrêt Gautzsch, ou aux États-Unis comme dans la présente affaire ? On tient ainsi compte de la mondialisation, et c’est heureux.

2. Absence de caractère individuel en raison d’une même impression globale sur l’utilisateur averti

Examen en quatre étapes .- Le Tribunal applique ici la méthode classique de l’examen en quatre étapes pour apprécier la condition de caractère individuel (en dernier lieu, voir Trib UE, 10 sept. 2015, T-525/13 et T-526/13, H&M Hennes & Mauritz c/ OHMI et Yves Saint Laurent [Sacs à main] : le commentaire de cette décision est là).

1) Déterminer le secteur des produits concernés.
2) Identifier l’utilisateur averti des produits concernés.
3) Caractériser le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du modèle.
4) Comparer les modèles en cause, en tenant compte du secteur concerné, du degré de liberté du créateur et des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le modèle contesté et par tout modèle antérieur divulgué au public.

La notion d’utilisateur averti .- Partant, le Tribunal rappelle la définition de l’utilisateur averti : « la notion […] peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’une attention moyenne, mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré » (CJUE, 20 oct. 2011, aff. C-281/10 P, PepsiCo, pt. 55). En l’espèce, pour la chambre de recours de l’OHMI, l’utilisateur averti était « toute personne qui achète habituellement cet article, le soumet à l’usage qui lui est destiné et qui a acquis des informations à ce sujet, en parcourant des catalogues, en visitant les magasins pertinents, en téléchargeant des informations à partir de l’internet, etc. ». Cette interprétation est jugée conforme à la définition précitée.

Enfin, le Tribunal rappelle que l’utilisateur averti ne doit pas forcément « connaître le processus de production des portes pour apprécier le caractère individuel d’un dessin ou modèle » (en dernier lieu : Trib. UE, 9 sept. 2011, aff. T-11/08, précitée].

Le degré de liberté du créateur .- On sait que plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un modèle est grande, moins des différences mineures entre modèles en conflit suffisent à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti. Mais la société Promarc Technics soutenait que le degré de liberté du créateur était limité par le processus de production du modèle. L’argument est rejeté. En effet, le modèle avait été enregistré sous la description : « pièce de portes ». C’est une description « très large, ne comportant aucune précision sur le type de pièce de portes ou la fonctionnalité de celle-ci ». Le degré de liberté de créateur n’est donc pas ici limité par des raisons techniques. Bien au contraire, il « était presque illimité, étant donné que ces produits (...) pouvaient revêtir toute combinaison de couleurs, de modèles, de formes et de matériaux ». De sorte que l’impression finale que les modèles produisent sur un utilisateur averti est la même : celle d’un modèle de porte doté d’une structure de garnissage alvéolaire, en nid d’abeilles.

Le juriste féru de droit des dessins et modèles puise son miel des décisions du Tribunal de l’Union comme l’abeille tire le meilleur de chaque fleur !


À lire en intégralité à la revue Propriété industrielle !

    Référence : Promarc Technics : le Tribunal de l’Union européenne fait son miel de la condition de caractère individuel ! (note sous Trib UE, 15 oct. 2015, aff. T. 251/14, Promarc Technics c/ OHMI et « PIS » [pièce de portes]) : Propriété industrielle n° 4, avr. 2016, comm. 31, note Laure MARINO.

☛ Voir les autres notes de jurisprudence parues dans la rubrique "Dessins et modèles" de la revue Propriété industrielle :


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Droit des dessins et modèles : le Tribunal de l’UE fait son miel de la condition de caractère individuel !

Au regard du nombre de décisions rendues, la jurisprudence communautaire du droit des dessins et modèles est un minuscule Hobbit à côté du colossal colosse du droit des marques. Mais ce lilliputien s’étoffe peu à peu et l’ossature de ses notions centrales se consolide. Ainsi, la condition de caractère individuel, initialement plutôt mystérieuse, est désormais assez bien explicitée. On atteint même le stade où l’on peut parler de jurisprudence constante au sujet de la divulgation, de l’examen en quatre étapes, de la définition de l’utilisateur averti ou du degré de liberté du créateur… L’arrêt Promarc Technics rendu le 15 octobre 2015 par le Tribunal de l’Union européenne fortifie cette construction prétorienne en la confirmant.

Trib. UE, 15 oct. 2015, n° T-251/14, Promarc Technics c/ OHMI et « PIS » (Pièce de portes) – décision définitive


Demande en nullité fondée sur le défaut de caractère individuel du modèle .- Les juges européens statuent ici sur une demande en nullité d’un modèle communautaire de « pièce de portes », enregistré par la société Promarc Technics en 2009. Il représente une structure en forme de nid d’abeilles.


La demande en nullité est présentée par la société « PIS » pour défaut de nouveauté et de caractère individuel (règl. n° 6/2002 sur les dessins ou modèles communautaires, art. 5 et 6). À l’appui de sa demande, la société « PIS » invoque un brevet américain antérieur, délivré en 1981.


Tout comme l’OHMI, le Tribunal fera droit à la demande en nullité. Le modèle de la société Promarc Technics est certes nouveau, mais il est dépourvu de caractère individuel : il produit la même impression globale que le modèle antérieur sur l’utilisateur averti.

1. Divulgation antérieure d’un brevet sur le site américain de l’USPTO

La divulgation, notion clé .- La divulgation est le pivot central du système européen de protection des dessins et modèles, ainsi qu’une date clé. Elle permet de contrôler la nouveauté et le caractère individuel. Ainsi, pour contester le caractère individuel d’un modèle postérieur, il faut prouver la divulgation d’un modèle antérieur produisant la même impression globale sur l’utilisateur averti.

Or le règlement précise qu’un modèle « est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié (...), ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière [avant la date de dépôt de la demande], sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté » (règl. n° 6/2002 sur les dessins ou modèles communautaires, art. 7, § 1). La divulgation participe donc d’une fiction juridique : le modèle est « réputé avoir été divulgué ». Elle est en outre une notion relative : elle ne compte pas en tant que telle ; elle est conditionnée. Elle ne compte qu’autant que ses faits constitutifs peuvent « raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté ».

Publication dans la base de données de l’USPTO .- Commençons par la présomption : le modèle est « réputé avoir été divulgué s’il a été publié… » Tel est le cas ici dès lors qu’il a été publié dans la base de données de l’USPTO, l’office américain des brevets et des marques. Pour renverser la présomption, il faut donc démontrer que « les milieux spécialisés du secteur ne procèdent pas à des consultations du registre de l’USPTO ». Mais cette preuve n’est pas rapportée en l’espèce. La conclusion s’impose : la publication des fascicules de brevets américains « était, dans la pratique normale des affaires, raisonnablement connue des milieux spécialisés du secteur concerné... ». C’est ce qui avait déjà été affirmé dans l’arrêt Senz (Trib. UE, 5e ch., 21 mai 2015, aff. jtes T-22/13 et T-23/13 [Parapluies] : le commentaire de cette décision est ici).

Il est donc vivement conseillé de consulter en ligne le registre américain avant tout dépôt. Il semble d’ailleurs tout naturel que les milieux spécialisés procèdent à de telles recherches. Il s’agit ni plus ni moins de consulter l’un des registres le plus important et le plus connu du monde !

Publication hors de l’Union européenne .- Pour se défendre, la société Promarc Technics prétendait également que les documents invoqués ne pouvaient être que des documents publiés dans l’Union. Le Tribunal balaye sèchement l’argument en s’appuyant sur l’arrêt Gautzsch : il n’est pas nécessaire que les faits de la divulgation aient eu lieu sur le territoire de l’Union (CJUE, 3e ch., 13 févr. 2014, aff. C-479/12 : le commentaire de cette décision est ici). Pourquoi pas en Chine, donc, comme dans l’arrêt Gautzsch, ou aux États-Unis comme dans la présente affaire ? On tient ainsi compte de la mondialisation, et c’est heureux.

2. Absence de caractère individuel en raison d’une même impression globale sur l’utilisateur averti

Examen en quatre étapes .- Le Tribunal applique ici la méthode classique de l’examen en quatre étapes pour apprécier la condition de caractère individuel (en dernier lieu, voir Trib UE, 10 sept. 2015, T-525/13 et T-526/13, H&M Hennes & Mauritz c/ OHMI et Yves Saint Laurent [Sacs à main] : le commentaire de cette décision est là).

1) Déterminer le secteur des produits concernés.
2) Identifier l’utilisateur averti des produits concernés.
3) Caractériser le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du modèle.
4) Comparer les modèles en cause, en tenant compte du secteur concerné, du degré de liberté du créateur et des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le modèle contesté et par tout modèle antérieur divulgué au public.

La notion d’utilisateur averti .- Partant, le Tribunal rappelle la définition de l’utilisateur averti : « la notion […] peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’une attention moyenne, mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré » (CJUE, 20 oct. 2011, aff. C-281/10 P, PepsiCo, pt. 55). En l’espèce, pour la chambre de recours de l’OHMI, l’utilisateur averti était « toute personne qui achète habituellement cet article, le soumet à l’usage qui lui est destiné et qui a acquis des informations à ce sujet, en parcourant des catalogues, en visitant les magasins pertinents, en téléchargeant des informations à partir de l’internet, etc. ». Cette interprétation est jugée conforme à la définition précitée.

Enfin, le Tribunal rappelle que l’utilisateur averti ne doit pas forcément « connaître le processus de production des portes pour apprécier le caractère individuel d’un dessin ou modèle » (en dernier lieu : Trib. UE, 9 sept. 2011, aff. T-11/08, précitée].

Le degré de liberté du créateur .- On sait que plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un modèle est grande, moins des différences mineures entre modèles en conflit suffisent à produire des impressions globales différentes sur l’utilisateur averti. Mais la société Promarc Technics soutenait que le degré de liberté du créateur était limité par le processus de production du modèle. L’argument est rejeté. En effet, le modèle avait été enregistré sous la description : « pièce de portes ». C’est une description « très large, ne comportant aucune précision sur le type de pièce de portes ou la fonctionnalité de celle-ci ». Le degré de liberté de créateur n’est donc pas ici limité par des raisons techniques. Bien au contraire, il « était presque illimité, étant donné que ces produits (...) pouvaient revêtir toute combinaison de couleurs, de modèles, de formes et de matériaux ». De sorte que l’impression finale que les modèles produisent sur un utilisateur averti est la même : celle d’un modèle de porte doté d’une structure de garnissage alvéolaire, en nid d’abeilles.

Le juriste féru de droit des dessins et modèles puise son miel des décisions du Tribunal de l’Union comme l’abeille tire le meilleur de chaque fleur !


À lire en intégralité à la revue Propriété industrielle !

    Référence : Promarc Technics : le Tribunal de l’Union européenne fait son miel de la condition de caractère individuel ! (note sous Trib UE, 15 oct. 2015, aff. T. 251/14, Promarc Technics c/ OHMI et « PIS » [pièce de portes]) : Propriété industrielle n° 4, avr. 2016, comm. 31, note Laure MARINO.
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    04/11/2015

    Droit des dessins et modèles : ouvrez vos parapluies !

    Le parapluie Senz : « ne pique pas les yeux, ne mouille pas les cheveux » (vu sur le blog Loisirs 3000)
    Le 21 mai 2015, le tribunal de l’Union européenne a rejeté la demande en nullité de dessins et modèles représentant des parapluies (Trib UE, 5e ch., 21 mai 2015, aff. jointes T‑22/13et T‑23/13, Senz Technologies BV c/ OHMI et Impliva BV). Cette décision Senz est intéressante à double titre : elle éclaire la notion de divulgation, en nous conduisant à penser que les déposants de DMC sont censés connaître les design patents américains publiés et donc divulgués sur le site de l’USPTO (United States Patent and Trademark Office), au moins jusqu’à preuve du contraire ; elle revient aussi sur la condition de caractère individuel et l’impression globale sur l’utilisateur averti, en jugeant que les dessins et modèles communautaires produisent ici une impression globale différente par rapport au design patent antérieur et qu’ils ont donc un caractère individuel.
     

    L’affaire prend source dans une demande en nullité. Arguant d’un défaut de caractère individuel, une entreprise néerlandaise dénommée Impliva conteste la validité de deux dessins et modèles communautaires (DMC) déposés par Senz Technologies, une autre société néerlandaise. Ces DMC représentent des parapluies et ont été enregistrés en 2006.

     
     
     
    Dessins et modèles communautaires déposés par Senz Technologies et enregistrés en 2006 
                                                        

    En 2010, la division d’annulation de l’OHMI accueille la demande en nullité. Senz forme alors un recours, mais la chambre de recours confirme l’annulation des DMC deux ans plus tard. En effet, ces DMC produiraient sur l’utilisateur averti la même impression globale qu’un certain nombre de parapluies de forme identique ou similaire qui ont fait l’objet de dessins ou modèles enregistrés et divulgués au public antérieurement. La preuve ? Un « brevet » américain enregistré dix ans auparavant... et publié sur le site Internet de l’USPTO. 

     
     

     
     
     
     
     
     
     
     
     
    « Brevet » américain enregistré en 1996 et publié sur le site de l’USPTO
     
    Senz forme alors un nouveau recours devant le Tribunal de l’Union européenne. Et c’est un succès ! Les juges européens rejettent la demande en nullité des dessins et modèles de Senz et annulent la décision de la chambre de recours de l’OHMI. Certes, un « brevet » américain a bien été divulgué antérieurement… Mais les dessins et modèles communautaires produisent une impression globale différente par rapport au « brevet » antérieur et ils ont donc un caractère individuel.

    1. Divulgation antérieure d’un « brevet » sur le site américain de l’USPTO


    La divulgation, notion clé.- La divulgation est devenue le pivot central du système européen de protection des dessins et modèles, en même temps qu’une date clé. Elle permet de contrôler la nouveauté et le caractère individuel, qui sont les deux conditions de protection des dessins et modèles en Europe.
    Or le règlement sur les dessins ou modèles communautaires  précise qu’un DMC « est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié (…), ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière [avant la date de dépôt de la demande], sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté » (RDMC, art. 7, §1). La divulgation participe donc d’une fiction juridique : le DMC est « réputé avoir été divulgué ». Et surtout, c’est une notion relative : elle ne compte pas en tant que telle ; elle est conditionnée ; elle ne compte qu’autant que ses faits constitutifs peuvent « raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté ».
    Le « brevet » américain pouvait-il être connu des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant au sein de l’Union ?.- On peut dès lors poser la question pertinente : le « brevet » américain pouvait-il être connu des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant au sein de l’Union ?
    Petite parenthèse : si je mets le terme « brevet » en italiques, c’est qu’il ne s’agit pas d’un vrai brevet. Aux États-Unis, la protection de ce que nous appelons les dessins et modèles est intégrée au droit des brevets, sous l’intitulé design patent (que l’on peut traduire par « brevet de dessins et modèles »). Mais malgré cette différence sémantique, le design patent est exactement l’équivalent de nos dessins et modèles, car ce qui est alors protégé, c’est bien l’apparence d’un produit. Fin de la parenthèse.
    Ce qu’on apprend sur la divulgation.- Puisque la société Senz contestait la divulgation, c’était à elle de prouver que les milieux spécialisés du secteur concerné ne pouvaient pas, en l’espèce, prendre connaissance de la publication du brevet antérieur sur le site Internet de l’USPTO. Preuve difficile ! Le tribunal conclut d’ailleurs que cette preuve n’est pas rapportée en l’espèce et estime donc que le « brevet » a bien été divulgué.
    Par conséquent, si l’on extrapole, tous les déposants de DMC sont censés connaître les design patents américains publiés sur le site de l’USPTO, au moins jusqu’à preuve du contraire. Comme cette preuve sera très difficile à rapporter, on leur conseillera vivement de consulter en ligne le registre américain avant tout dépôt. Il semble d’ailleurs tout naturel que les milieux spécialisés procèdent à de telles recherches. Il ne s’agit pas de trouver un gobelet gallo-romain exposé au fin fond d’un musée ou une antiquité maya retrouvée au fin fond d’une contrée… Comme le dit le tribunal, « un dessin ou modèle ne peut pas être réputé être connu dans la pratique normale des affaires si les milieux spécialisés du secteur concerné ne pourraient le découvrir que par hasard ». Il s’agit ici de consulter l’un des registres le plus important et le plus connu du monde !

    2. Impression globale différente sur l’utilisateur averti et caractère individuel


    Une impression globale différente.- Mais si Senz succombe sur le terrain de la divulgation, il vainc sur la condition de caractère individuel. Le « brevet » américain a été divulgué antérieurement, mais les dessins et modèles communautaires ont un caractère individuel par rapport à lui. Pour le tribunal, ils produisent en effet sur l’utilisateur averti une impression globale différente.
    Pour parvenir à cette conclusion, le tribunal revient sur la condition de caractère individuel, qui repose sur la différence subjective entre le dessin ou modèle concerné et les dessins et modèles antérieurement divulgués.
    La comparaison des impressions globales.- Le tribunal se livre donc à la comparaison des impressions globales produites par le « brevet » antérieur et les dessins ou modèles contestés, et cela sous tous les angles. Il semble effectivement « logique », comme le dit le tribunal, « qu’un utilisateur visualise un produit sous plusieurs perspectives ». Ainsi, les vues du dessus des parapluies comportent selon lui des différences. Les vues latérales des toiles comportent également des différences significatives, de même que les vues du dessous.
    Il ne faut en effet pas s’arrêter à l’asymétrie caractéristique de ces parapluies. Pour le tribunal, l’asymétrie n’est pas le point dominant du « brevet » et des dessins et modèles en cause. En effet, cette asymétrie ne serait fortement perçue que si la comparaison s’effectuait par rapport à un modèle de parapluie normal, symétrique. Mais tel n’est pas le cas : « lorsque deux parapluies asymétriques doivent être comparés, le seul fait qu’ils possèdent tous deux une asymétrie n’exclut pas que l’impression globale produite par ces parapluies puisse être différente ».  
    Confucius disait qu’une image vaut mille mots. Un dessin ou modèle aussi !

     
     
    À lire en intégralité à la revue Propriété industrielle !
     
     
     



    Référence : Affaire Senz : ouvrez vos parapluies ! (note sous Trib UE, 5e ch., 21 mai 2015, aff. jointes T‑22/13 et T‑23/13, Senz Technologies BV c/ OHMI et Impliva BV [parapluies]), Propriété industrielle n° 7-8, juill.-août 2015, comm. 54,  note Laure MARINO.

     

    Voir les autres notes de jurisprudence parues dans la rubrique "Dessins et modèles" :
         


         

        09/09/2013

        Le caractère individuel chevauche la nouveauté


        Note de jurisprudence : Trib. UE, 6e ch., 6 juin 2013, T‑68/11, Erich Kastenholz c/ OHMI et Qwatchme A/S [cadrans de montre] 



        En septembre, c'est l'heure de la rentrée dans la rubrique "Dessins et modèles" de la revue Propriété industrielle avec le "cadran de montre" qui superpose des couleurs.

        Le tribunal de l’Union européenne éclaire la question du chevauchement des conditions de nouveauté et de caractère individuel : ces conditions se recoupent dans une certaine mesure, car la seconde va au-delà de la première. Dès lors, si deux dessins produisent une impression globale différente sur l’utilisateur averti, ils ne peuvent pas être considérés comme identiques aux fins d’apprécier la nouveauté.
        Par ailleurs, et c’est évident, le juge énonce que le droit des dessins et modèles et le droit d’auteur ne peuvent pas protéger une idée en plus de l’apparence d’un produit ou des traits d’une œuvre.


        Le dessin contesté représente un cadran de montre


        Et voici une œuvre qui constituerait un droit antérieur


        Et une autre œuvre...


        Et le cadran de montre créé à partir de ces œuvres


        À lire dans la revue Propriété industrielle !


        Références du commentaire : Laure Marino, "Le caractère individuel chevauche la nouveauté" (note sous Trib. UE, 6e ch., 6 juin 2013, T‑68/11, Erich Kastenholz c/ OHMI et Qwatchme A/S [cadrans de montre]), Propriété industrielle n° 9, sept. 2013, comm. 61.

        Lien vers l'arrêt : c'est ici