L’arrêt Svensson sur la création de liens hypertextes est arrivé ! Très attendue, cette décision européenne est une victoire pour les curateurs et les agrégateurs de contenu.
Ouf ! Internet est sauvé. On peut librement créer des liens hypertextes pointant vers des œuvres protégées par le droit d’auteur publiées sur d’autres sites. La Cour de justice de l’Union européenne vient de rendre un arrêt historique en ce sens[1]. URLons de joie !
Des articles de presse rédigés par des journalistes suédois avaient été publiés en libre accès sur le site du quotidien Göteborgs-Posten. Retriever Sverige, une société suédoise, exploite un site qui fonctionne comme un agrégateur ; elle fournit des liens cliquables à ses clients, notamment vers le site du journal. Ce qui a provoqué l’ire des journalistes à qui l’agrégateur n’avait pas demandé l’autorisation…
Saisie par une juridiction suédoise, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) décide que « la fourniture sur un site internet de liens cliquables vers des œuvres librement disponibles sur un autre site internet […] ne constitue pas un acte de communication au public ». Autrement dit, le droit de représentation n’est pas violé. La Cour interprète ainsi l’article 3 de la directive Société de l’information dans un arrêt plutôt bref et rendu sans conclusions préalables d’un avocat général. C’était donc si simple ? La Cour précise aussi que les États ne peuvent protéger plus amplement les titulaires de droit en élargissant la notion de communication au public.
Pourtant, à lire l’arrêt, on s’aperçoit que le raisonnement de la Cour est fort subtil et que sa portée est loin d’être facile à tracer. En effet, par principe, la création de liens est ici considérée comme un acte de communication au public. Si elle est libre, c’est parce qu’il n’y a pas, dans ce cas, communication à un « public nouveau ». Le public nouveau constitue donc la soupape de sécurité. Et ce public nouveau, c’est celui qui n’a pas été initialement pris en compte par les auteurs des œuvres. Mais sur Internet, lorsqu’on poste une œuvre en accès libre, on s’adresse à la communauté des internautes. C’est donc toujours le même public… Il n’est pas nouveau. La Cour ajoute qu’il en irait ainsi même si l’œuvre apparaissait en donnant l’impression qu’elle est montrée depuis le site où se trouve le lien (lien qui pointe un frame). En revanche, il y aurait public nouveau, nous dit-elle, si le lien permettait de « contourner des mesures de restriction ». On pense immédiatement aux paywalls, mais il y a d’autres hypothèses.
Il aurait été plus simple de poser, par principe, que la création d’un lien n’est pas une communication au public. Quelques juridictions l’ont fait, par exemple en France[2]… Mais la Cour européenne ne pouvait aller dans ce sens, car elle avait déjà jugé que la notion de communication au public devait être entendue de façon large. Notamment, il suffit qu’il y ait « mise à disposition » pour qu’il y ait « acte de communication ». D’où le subtil raisonnement de la Cour : il y a communication au public, mais il n’y a pas de public nouveau, donc il n’y a pas communication au public.
Voilà une façon pour le droit d’auteur de surfer sur internet sans perdre l’équilibre.
Cette chronique est initialement parue le 25 mars 2014 dans la belle revue Documentaliste |
Référence : Laure MARINO, "Arrêt Svensson : les hyperliens en liberté (conditionnelle)", Documentaliste, vol. 51, n° 1, mars 2014, p. 27.
Les chroniques suivantes :
Volume 51, N° 1, paru le 25 mars 2014
Volume 51, N° 1, paru le 25 mars 2014
Volume 51, N° 1, paru le 25 mars 2014
DocSI, n° 1, mars 2014
DocSI, n° 1, mars 2014
Merci pour cette analyse cependant je m'inquiète d'une possible interprétation extensive de cette décision qui serait alors, selon moi, lourde de conséquences.
RépondreSupprimerJ'aimerai avoir votre point de vue sur une question que je vais essayer de vous présenter sous la forme d'un cas pratique.
Un auteur, appelons le M. A, divulgue un article en le mettant en ligne sur son site. Pour autant, il s'agit d'un public "restreint" puisque seuls ceux disposant d'identifiants peuvent y accéder.
M. X dispose de ces identifiants. Il accède à l'oeuvre qu'il reproduit intégralement sur son blog , sans autorisation, et sans mention du nom de M. A. De plus, M. X tweet un lien dirigeant vers la reproduction intégrale de l'article sur son blog.
M. Y accède à cette reproduction intégrale via le tweet de M. X. Lui même reproduit partiellement l'article (l'abstact) sur son propre blog. Il insère à la fin de cette reproduction partielle, un lien dirigeant vers la reproduction intégrale de l'article sur le blog de M. X. De plus, M. Y tweet un lien dirigeant vers la reproduction partielle de l'article sur son propre blog.
Enfin, M. Z retweet le tweet de M.Y, créant ainsi lui même un lien vers la reproduction partielle de l'article sur le blog de M. Y, lequel comprend un lien dirigeant vers la reproduction totale de l'article sur le blog de M.X.
L'acte de contrefaçon de M.X est caractérisé :
- reproduction sans accord du titulaire du droit d'auteur
- atteinte au droit moral (droit de paternité) de l'auteur
- et, à la lecture de l'arrêt Svensson, il me semble qu'on peut retenir une atteinte au droit de représentation. Le lien dans le tweet de M.X vise une reproduction totale de l'oeuvre et un public nouveau peut y accéder (le public nouveau étant celui non-prévu par le titulaire du droit, étant entendu ici celui qui ne dispose pas des identifiants pour accéder à l'oeuvre sur son site).
Pour autant, peut-on raisonnablement considérer que M. Y ainsi que M.Z porte atteinte également au droit de représentation de l'auteur :
- M. Y en créant deux liens, l'un visant une reproduction partielle de l'article et l'autre visant une reproduction totale ?
- M. Z qui par son retweet, créé un lien vers la reproduction partielle ?
J'ai bien peur qu'une interprétation extensive de l'arrêt Svensson conduise à reconnaître M. Y et M. Z comme contrefacteur. Le risque alors, compte tenu du fait que le Web repose sur des liens hypertextes, est que nous soyons tous potentiellement contrefacteurs, à nos dépens.
Qu'en pensez vous ?