07/08/2014

Comment mettre en œuvre le "droit à l’oubli" numérique ?

Très remarqué, l’arrêt Google Spain a consacré une certaine forme de "droit à l’oubli" numérique (CJUE, gr. ch., 13 mai 2014, aff. C-131/12). Deux mois après, il est intéressant de s’interroger sur sa mise en œuvre concrète. Je m'exprime sur cette question dans cet entretien accordé au Recueil Dalloz.

Google a mis en place un formulaire "droit à l’oubli" pour les internautes, qu'en pensez-vous ?

Cela montre sa volonté de se conformer à cette décision qui conduit à un droit au déréférencement, autrement dit à la désindexation. À certaines conditions, la personne concernée peut s’adresser au moteur de recherche pour qu’il supprime de la liste des résultats des liens obtenus en tapant son nom, dirigeant vers des pages web contenant des données personnelles ; attention, la page ne disparaîtra pas, elle sera juste inaccessible à partir du nom de la personne.

Le formulaire lancé fin mai permet aux internautes de l’Union européenne de faire une demande de déréférencement. Succès monstre ! Dès le premier jour, 12 000 requêtes étaient déjà enregistrées. Fin juin, on en comptait 70 000, concernant 250 000 pages… et la France se plaçait en tête. Je vous laisse calculer les prévisions pour l’année 2014, sachant qu’il arrive environ 1 000 demandes par jour.

Le formulaire est assez facile à remplir. On s’identifie : nom complet, adresse mail, copie d’un document d’identité. Puis on précise la demande : nom utilisé pour la recherche sur Google, adresse URL des résultats que l’on souhaite voir supprimés. Enfin, on explique : en quoi la page web nous concerne et en quoi elle est "hors sujet, obsolète ou autrement contestable". À Google de décider s’il donne suite… Mais l’arrêt donne des pistes à ce sujet. La désindexation est justifiée lorsque les "données sont inexactes". Elle l’est aussi si elles sont "inadéquates, non pertinentes ou excessives au regard des finalités du traitement". Et enfin si elles ne sont pas mises à jour ou qu’elles sont conservées pendant une durée excessive "à moins que leur conservation s’impose à des fins historiques, statistiques ou scientifiques". Toutefois, le déréférencement ne sera pas légitime dans certains "cas particuliers" liés à "la nature de l’information" et à "sa sensibilité pour la vie privée de la personne" ainsi qu’à "l’intérêt du public à disposer de cette information". Ce qui est particulièrement important, c’est que l’intérêt du public peut varier "en fonction du rôle joué par cette personne dans la vie publique". Tout cela n’est pas si facile à apprécier…

Google a-t-il d'ores et déjà déréférencé des pages web ?

Oui, en prévenant les sites concernés. Il l’annonce également sur la page qui affiche les résultats de recherche. Mais les premiers couacs se sont fait entendre avec l’affaire Merrill Lynch. Un journaliste qui avait relaté sur un blog de la BBC comment la banque d’affaires avait évincé son PDG au moment de la crise des subprimes apprend que son article a été déréférencé. Évidemment, il estime qu’il s’agit d’informations d’intérêt public.

The Guardian a lui aussi été victime de déréférencements. En France, Next INpact a été le premier touché. La presse crie à la censure ! The Daily Mail annonce qu’il publiera la liste des articles désindexés afin que ces derniers restent accessibles. Trop facile de faire table rase du passé ! Un homme politique pourrait vouloir faire disparaître toutes les promesses qu’il a faites pour être élu (je plaisante !).

Google a admis quelques erreurs d’appréciation et a procédé à des dé-déréférencements pour rétablir des liens. Certaines mauvaises langues y voient une stratégie de lobbying. Google a aussi mis en place un comité d’experts chargé de publier un rapport et de faire des propositions.

Mais alors, comment pourrait-on imaginer l’organisation idéale du "droit à l’oubli" numérique ?

La question est prospective et elle est importante, car nous sommes tous concernés, nous… les utilisateurs des moteurs de recherche. Il s’agit de trouver l’équilibre entre la vie privée des personnes et la liberté d’information des internautes, comme la Cour de justice l’a noté. Or c’est une lourde responsabilité pour un acteur privé et cette privatisation me paraît inquiétante. N’est-ce pas le rôle du juge de faire la balance entre les droits fondamentaux en présence ? Et quid de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ? Bien sûr, la tâche se complique face à un phénomène de masse – comme toujours avec internet. La difficulté s’accroît aussi avec le risque d’"effet Streisand", qui est une autre caractéristique de la Toile.

Google ne révèle pas les noms et les raisons du retrait, mais en donnant une audience au déréférencement, on provoque l’effet inverse à celui attendu. Et l’efficacité de la mesure dépend enfin de son application par tous les moteurs de recherche. Sans doute faut-il voir cette étape comme une sorte de test, une phase bêta diraient les informaticiens. Elle va inspirer le G29, le groupe des "CNIL" européennes, qui souhaite fournir des lignes directrices aux moteurs de recherche. Et surtout, elle aura un impact sur les débats et votes du futur règlement sur la protection des données personnelles. C’est ainsi désormais que se fabrique le droit…

Allez-vous oublier le droit à l'oubli sur la plage ?

Références : Laure MARINO, Comment mettre en œuvre le "droit à l’oubli" numérique ?, Recueil Dalloz 7 août 2014, n° 29, entretien p. 1680.

☛ Voir aussi : Un "droit à l’oubli" numérique consacré par la CJUE 

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