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Voici quelques « coups de projecteur » sur la jurisprudence française et européenne en la matière, pour éclairer la période de quatre mois allant de mai à août 2015. Avec notamment un arrêt assez audacieux rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation dans l’affaire Klasen c/ Malka. Et une décision venue d’ailleurs : la Court of Appeals for the Federal Circuit s’intéresse à la protection de l’apparence d’un produit (en l’espèce, un smartphone) dans le fameux contentieux opposant Apple à Samsung. Aux États-Unis, cette juridiction dont le siège est à Washington est la seule juridiction d’appel compétente en matière de brevets.
I. Propriété littéraire et artistique
• Quand le droit d’auteur rencontre la liberté d’expression artistique (note sous Cass. 1re civ., 15 mai 2015, n° 13-27391, Peter Klasen c/ Alix Malka, PB [cassation CA Paris, 18 sept. 2013], Mme Batut, prés., SCP Bénabent et Jéhannin, av.)
L’arrêt Klasen c/ Malka est extrêmement important : la première chambre civile de la Cour de cassation censure un arrêt de la cour d’appel sur le terrain de la recherche d’un juste équilibre entre les droits fondamentaux en présence. Non, le droit d’auteur n’échappe pas à la rencontre avec les droits fondamentaux, spécialement avec la liberté d’expression artistique. L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Versailles, dont la motivation devra donc être « concrète ». Lorsqu’il arbitre à la recherche d’un équilibre entre deux droits fondamentaux (ici, propriété intellectuelle d’un côté et liberté d’expression de l’autre), le juge doit réagir au cas par cas, au regard des faits de l’espèce, et non de manière générale.
• Du nouveau pour l’exception de courte citation ! (note sous CA Versailles, 1re ch., sect. 1, 28 mai 2015, n° 13/01678, Jamel X c/ SNC Hachette Filipacchi Associés [confirmation de TGI Nanterre, 14 févr. 2013], Mme Blum, prés., M. Ponsot, cons. ; Mes Minault de la SELARL Minault Patricia et Bigot, av.)
Pour la cour d’appel de Versailles, la reproduction sans autorisation, dans un magazine people, de dix-sept captures d’écran d’un documentaire projeté en conférence de presse bénéficie de l’exception de courte citation. On s’éloigne nettement de la lecture extrêmement restrictive de la jurisprudence classique en la matière.
✐ Nous ignorons si un pourvoi en cassation a été formé.
• Preuve de l’originalité d’un guide du tarot : rien ne sert d’affirmer, il faut expliciter ! (note sous CA Paris, P. 5, ch. 2, 29 mai 2015, n° 13/18038, Mme Corinne X c/ M. Claude Y et a. [confirmation de TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 13 juin 2013, nº 11/18096], Mme Aimar, prés., Mes Puszet, Wekstein du Cabinet Wan Avocats, Gurfein, Grislain, Fertier de l’AARPI JRF Avocats, Ouadi de la SELARL Cabinet Khalid Ouadi, av.)
Depuis quelque temps, l’originalité (re)devient un critère discriminant. En pratique, dès que l’ombre d’un doute sur l’originalité se profile, le défendeur accusé de contrefaçon soulève un moyen et provoque la discussion sur cette question. Cette stratégie se révèle efficace, car la charge de la preuve de l’originalité pèse alors sur le demandeur. C’est ainsi que la cour d’appel de Paris déboute l’auteure d’un guide du tarot qui agissait en contrefaçon à la suite de la reproduction de nombreuses pages de son livre intitulé Les arcanes majeurs sur des sites web. Selon les juges, celle-ci n’a pas démontré que son œuvre est originale.
✐ Nous ignorons si un pourvoi en cassation a été formé.
II. Brevets
• Brevets high-tech à la CJUE : BEN, licence FRAND et action en contrefaçon (note sous CJUE,16 juill. 2015, n° C-170/13, Huawei Technologies Co. Ltd c/ ZTE Corp. et a., M. T. von Danwitz, prés.)
Dans l’important arrêt Huawei c/ ZTE, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions qui permettent au titulaire d’un brevet essentiel à une norme (BEN) d’agir en contrefaçon sans que cette action constitue un abus de position dominante. En particulier, le breveté doit transmettre une offre de licence concrète au contrefacteur présumé avant d’entamer les poursuites judiciaires, dès lors qu’il s’est préalablement engagé à accorder aux tiers des licences FRAND (fair, reasonable and non-discriminatory).
• Sky terrasse Skype : ciel, ma marque ! (note sous Trib. UE, 5 mai 2015, n° T-423/12, n° T-183/13 et n° T-184/13, Skype Ultd c/ OHMI, Sky plc et Sky IP International Ltd, M. H. Kanninen, prés.)
Skype se retrouve sur la sellette à cause de Sky. Le 5 mai 2015, le Tribunal de l’Union européenne a en effet jugé qu’il existait un risque de confusion sur l’origine des produits et service des deux sociétés en cause. L’affirmation d’une similitude visuelle, phonétique et conceptuelle entre les marques en conflit est l’un des points marquants de la décision.
✐ Skype a formé un pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne.
• La figurine Lego joue dans la cour des marques tridimensionnelles ! (note sous Trib. UE, 16 juin 2015, n° T-395/14 et n° T-396/14, Best Lock (Europe) Ltd. c/ OHMI et Lego Juris, M. Papasavvas, prés.)
Il y a cinq ans, la Cour de justice de l’Union européenne invalidait la marque tridimensionnelle représentant la célèbre brique rouge Lego. Le 16 juin 2005, le Tribunal de l’Union européenne valide deux marques tridimensionnelles représentant une figurine Lego, car il ne s’agit pas de « marques constituées exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ».
IV. Internet (questions transversales)
• La traque des sites pirates ressemble à une course sans fin : actualisation de l’injonction de blocage du fameux BitTorrent T411 (note sous TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 2 juill.2015, n° 15/07040, Société civile des producteurs phonographiques [SCPP] c/ Sté Orange et a., Mme )Courboulay, prés. ; Mes Boespflug, Caron, Coursin, Chartier et Dupuy, av.)
Le 2 avril 2015, une première décision concernant le célèbre site pirate T411 avait ordonné le blocage de t411.me. Le 2 juillet 2015, dans un second jugement, le tribunal de grande instance de Paris ordonne aux principaux fournisseurs d’accès à Internet français le blocage du site miroir t411.io pour une durée de douze mois, aux frais de la demanderesse et en leur laissant la liberté de prendre toutes mesures propres à empêcher leur accès à partir du territoire français. C’est la même solution, la même motivation…et la même inefficacité ?
V. Dans le monde
• Apple c/ Samsung aux États-Unis : une design patent war sur les coins arrondis (note sous Court of Appeals for the Federal Circuit, 18 mai 2015, Apple c/ Samsung Electronics Co., S. Prost, K. M. O’Malley et R. T. Chen, juges)
Aux États-Unis, la protection des dessins et modèles peut emprunter diverses voies, notamment le design patent – moyennement utilisé en pratique – et le trade dress – beaucoup plus prisé. L’arrêt Apple c/ Samsung rendu par la Court of Appeals for the Federal Circuit le 18 mai 2015 est passionnant, car il montre que le design patent peut avoir un intérêt certain par rapport au trade dress pour protéger l’apparence d’un produit (en l’espèce, un smartphone).
À lire en intégralité à la Gazette du Palais !
Références : Laure Marino, "Chronique de jurisprudence de droit de la propriété intellectuelle", Gazette du Palais, 5 novembre 2015, n° 309, p. 13 et s.
Voir aussi la précédente chronique de droit de la propriété intellectuelle
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