22/04/2016

Apple c/ Samsung aux États-Unis : coins arrondis et pommes de discorde



[Image vue sur ZDNet ;-)]


Aux États-Unis, la protection des dessins et modèles peut emprunter diverses voies, notamment le design patent – moyennement utilisé en pratique – et le trade dress – beaucoup plus prisé. L’arrêt Apple c/ Samsung rendu par la Court of Appeals for the Federal Circuit le 18 mai 2015 est passionnant, car il montre qu’outre-Atlantique, le design patent peut avoir un intérêt certain par rapport au trade dress pour protéger l’apparence d’un produit (en l’espèce, un smartphone).


U.S. Court of Appeals for the Federal Circuit.,18 mai 2015, Apple c/ Samsung Electronics Co., juges Prost, O’Malley et Chen

 

Design patent war.- On connaît la guerre des brevets entre
Apple et Samsung. Mais il n’y a pas que le brevet dans la vie… et dans cette bataille judiciaire, Apple dégaine aussi très volontiers le droit des dessins et modèles. Une design patent war, en quelque sorte, en marge de la patent war… avec des obus manqués en forme de trade dress. De sorte que le design patent résiste (1) là où le trade dress capitule (2).
 

1. Le design patent résiste 

 
En Europe.- On sait à quel point le design est important pour Apple ! Il y eut des procès retentissants en Europe sur le fondement du droit des dessins et modèles communautaires, spécialement au sujet de la tablette Samsung Galaxy 10.1. Sans succès pour Apple...

Aux États-Unis.- Outre-Atlantique, Apple a aussi assigné Samsung en contrefaçon de trois design patents… que l’on peut traduire par « brevets » de dessins et modèles. Petite précision : si je mets le terme « brevets » en italiques, c’est qu’il ne s’agit pas de vrais brevets. Aux États-Unis, la protection de ce que nous appelons les dessins et modèles est intégrée au droit des brevets, sous l’intitulé design patent. Elle est prévue par le Patent Act, (35 U.S.C. [United States Code]). Mais malgré cette différence sémantique, le design patent est l’équivalent de nos dessins et modèles, car ce qui est alors protégé, c’est bien l’apparence d’un produit, et non une invention. Et quel était ce produit, en l’espèce ? Un smartphone, of course !



 Design patent D’677 : face avant

 

Design patent D’087 : contour (avec bords avant biseautés)
 
Design patent D’305 : interface graphique


Dans une première décision dont la particularité est d’être rendue par un jury populaire, la district court a tout d’abord fait droit à Apple (United States District Court, Northern District of California, San José division, 24 août 2012, Apple Inc c/ Samsung Electronics Co Ltd, n° 11-CV-01846-LHK). Elle lui alloue la somme vertigineuse de 930 millions de dollars de dommages-intérêts pour la contrefaçon de brevets de logiciels, ainsi que pour violation de la trade dress law et pour contrefaçon de design patents. En appel, la Court of Appeals a réduit la somme, car elle a infirmé la partie de la décision fondée sur la trade dress law. Elle a toutefois confirmé pour le surplus : restent alors 548 millions de dommages-intérêts pour la contrefaçon de brevets de logiciels et de design patents.

Qu’est-ce qui explique qu’Apple gagne aux États-Unis et perde en Europe ? Certes, il ne s’agit pas du même dessin et modèle, et il ne s’agit pas du même produit non plus… On ne peut donc comparer ce qui n’est pas comparable. Mais au-delà, le droit diffère aussi sensiblement.

À certaines conditions (sévères), le droit du design patent protège l’aspect ornemental d’un produit qui a une utilité pratique. Et la copie d’un objet ainsi protégée est une contrefaçon (même si le produit n’est pas identique, mais seulement similaire).

Éléments fonctionnels.- Ce qui est passionnant dans l’affaire Apple / Samsung, c’est le fait que les similitudes portaient sur des éléments fonctionnels. Dès lors, Samsung estimait que ces éléments dictés par leur fonction devraient être exclus du débat. Mais, au contraire, la Court of Appeals a affirmé qu’un design patent est protégé s’il porte sur des caractéristiques ornementales d’un élément du produit, et cela même si cet élément est fonctionnel.

Tous ceux qui approuvent la jurisprudence européenne précitée trouveront probablement que cette position est excessive…


2. Le trade dress capitule


Le trade dress, une protection prisée.- Mais ce n’est pas tout ! Il y a aussi le trade dress, une protection très prisée en pratique, bien plus que le design patent. La protection par le droit des design patents peut en effet être complétée par d’autres régimes de protection, notamment le trade dress law, mais également le droit des marques, le copyright ou encore le droit de la concurrence. Ici, au design patent s’ajoutait le trade dress law.

Le trade dress law, que l’on peut traduire par « droit de l’habillage commercial », fait partie du droit des marques (on le trouve dans le Lanham Act). À certaines conditions, il protège l’apparence visuelle d’un produit ou de son conditionnement (par exemple, la bouteille galbée de Coca-Cola est l’un des habillages commerciaux de la marque). Et il est très avantageux dans sa durée : tandis que la protection d’un design patent est de quinze ans, le trade dress est renouvelable indéfiniment. On comprend dès lors son succès.

Le trade dress, une protection fragile.- Mais on s’aperçoit ici qu’il est facile de contester un trade dress sur la base de la fonctionnalité, tandis que le design patent y résiste. Par contraste, cela confère un grand intérêt au design patent.

Le trade dress litigieux portait sur l’apparence d’un smartphone rectangulaire aux coins arrondis avec les icônes sur l’écran d’accueil. La Court of Appeals a affirmé qu’il était fonctionnel, et donc non protégeable. Que signifie « fonctionnel » ? La Court of Appeals rappelle qu’« en termes généraux, une caractéristique du produit est fonctionnelle si elle est essentielle à l’utilisation ou au but du produit ou si elle influe sur son coût ou sa qualité ».

Pour la Court of Appeals, dès lors que la trade dress law conduit à un « monopole perpétuel », son usage dans la protection du design d’un produit doit être limité à ce qui n’est pas fonctionnel. Deux droits doivent en effet être mis en balance : la protection du design, d’une part, et le « droit fondamental à la concurrence à travers l’imitation du produit d’un concurrent », de l'autre. Le trade dress capitule donc là où le design patent a résisté : sur la question de la fonctionnalité.

Tous ceux qui ont tendance à dédaigner les design patents devraient sans doute commencer à réviser leur jugement !

 
À lire en intégralité à la revue Propriété industrielle !
 
 
 
 
Breaking news ! Samsung s’est depuis lors tourné vers la Cour suprême des Etats-Unis. Celle-ci a accepté de se saisir du dossier, mais elle n'examinera pas la validité des brevets de logiciels et des design patents. Elle ne traitera que la question du mode de calcul des dommages et intérêts. À suivre ! Mais la décision ne sera pas rendu avant l’automne.

 
Référence : Apple c/ Samsung aux États-Unis : angles arrondis et pommes de discorde (note sous U.S. Court of Appeals for the Federal Circuit, 18 mai 2015, Apple c/ Samsung Electronics Co.) : Propriété industrielle n° 9, sept. 2015, comm. 61, note Laure MARINO.
Voir les autres notes de jurisprudence parues dans la rubrique "Dessins et modèles" :


     
     

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