C’est un bad buzz, à moins que ce ne soit un ramdam négatif en bon français ! La société Moulinsart, titulaire des droits d’auteur sur l’œuvre d’Hergé, a scandalisé la Toile, fin mars 2014, en faisant supprimer toutes les images du Tumblr Le Petit XXIe. Les auteurs de ce blog se contentaient d’associer chaque jour une information d’actualité à une vignette extraite des albums des Aventures de Tintin. À sa façon, chaque dessin livrait un commentaire.
C’est un bad buzz aussi pour le droit d’auteur ! Il est une nouvelle fois incompris, décrédibilisé par ses excès, rejeté par l’opinion publique. Il est comme le yéti dans Tintin au Tibet : on le voit comme un monstre.
Le système n’est pourtant pas si strict. Par principe, la reproduction intégrale d’une œuvre est illicite ; mais par exception, elle est libre [1]. Le législateur a consacré pas moins de 11 exceptions pour équilibrer le droit de l’auteur et le droit à la liberté d’expression, notamment l’exception de courtes citations [2].
Alors d’où vient le problème ? De la rigidité du système. La jurisprudence, par exemple, n’admet que les citations littéraires et refuse d’accueillir les citations graphiques. En 2009, dans une affaire… Tintin, une Cour d’appel avait jugé que « la citation s’entend par nature d’un extrait (…) d’une œuvre » [3]. Or, pour la Cour, les vignettes constituaient « des reproductions intégrales de l’œuvre d’Hergé », car elles « sont des œuvres graphiques à part entière, protégeables en elles-mêmes, indépendamment de l’ensemble ». La Cour de cassation avait approuvé le raisonnement [4].
En définitive, les juges considèrent chaque vignette comme un petit tableau isolé d’une galerie de tableaux... Mais la reproduction intégrale d’une vignette pourrait pourtant être légitimée en raison de la spécificité du 9e art. Une bande dessinée est en effet une histoire racontée en image. Chaque vignette, élément d’un tout, « tient à l’image qui la précède et à celle qui la suit » [5], et l’album est composé de toutes les vignettes qui donnent son sens à l’œuvre: il y en a par exemple plus de 600 dans Tintin au Tibet. C’est bien l’ensemble qui donne son sens à l’œuvre. Une vignette pourrait donc s’analyser comme une citation au regard de la nature de l’œuvre, comme une phrase dans le récit graphique.
Pour aller plus loin, on pourrait accepter les créations transformatives (remix, mashups). Le rapport Lescure propose de modifier notre rédaction actuelle de l’exception de courte citation afin de l’adapter en ce sens [6]. Mais le rattachement des usages transformatifs à la courte citation me laisse perplexe. Cela ressemblerait à une solution artificielle, dans le but de contourner le législateur européen. Mieux vaudrait réformer la directive pour introduire une nouvelle exception. Les débats sont ouverts : la Commission européenne a lancé une consultation publique sur la révision du droit d’auteur dans l’Union européenne. On pourrait raisonner différemment avec le numérique, et faire évoluer le droit d’auteur sans jeter le bébé avec l’eau du bain ! Mille sabords, ceux qui ont lu Tintin au Tibet savent que le yéti a bon fond.
[2] Et le juge en a ajouté une 12e. Pour plus de détails sur toutes ces exceptions : L. Marino, Droit de la propriété intellectuelle, PUF, coll. Thémis, 2013, n° 101.
[6] P. Lescure, Contribution aux politiques culturelles à l’heure numérique, mai 2013, tome 1, p. 425 et s., proposition n° 69. Le CSPLA a été saisi pour approfondir la question et a lancé une mission relative aux créations transformatives ; le résultat de cette mission est encore attendu.
 |
| Cette chronique est initialement parue le 25 juin 2014 dans la belle revue Documentaliste |
Référence : Laure MARINO, "Tintin chez le yéti", Documentaliste, vol. 51, n° 2, juin 2014, p. 27.
La précédente chronique :
La chronique suivante :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci pour votre visite et merci de prendre le temps de laisser un commentaire.